Arthur et Médéric étaient voisins. Le premier était un riche commerçant de moutons. Sur sa manière de faire des marchés on avait quelques doutes. Le second, un pauvre
quêteux1, venait d'arriver dans le village. Sa conduite à lui aussi faisait jaser tout le monde. On racontait à la ronde que plusieurs vols mystérieux avaient été commis depuis peu. [...]
Un jour, un homme se présenta chez le vendeur de moutons en disant :
– Salut, l'ami. Je viens pour acheter un mouton.
– Allons à la bergerie, vous pourrez choisir, dit Arthur.
Et quelques instants plus tard, l'homme repartit en emportant sur son dos un beau mouton bien gras. Aussitôt qu'il fut parti, Arthur alla frapper chez le quêteux.
– Je viens de vendre un beau mouton, annonça-t-il à Médéric, le plus beau de ma bergerie. L'acheteur vient de partir avec la bête sur le dos. J'ai pensé que tu pouvais l'alléger de son fardeau, car il a un long chemin à parcourir. Si tu réussis, nous partagerons
les profits2.
– Entendu, dit le quêteux.
Médéric s'habilla en hâte et chaussa une belle paire de souliers tout neufs qu'il s'était procurée on ne sait trop comment. Puis, il piqua à travers champs de manière à rencontrer l'acheteur qui avait pris le chemin de la forêt. Médéric arriva bien avant lui et il plaça l'un de ses souliers à la sortie du bois. Ensuite, il plaça l'autre, à quelques mètres de là, toujours sur le chemin. Puis, il se cacha dans les broussailles et attendit.
Bientôt arriva l'homme avec le mouton sur le dos. Il aperçut le soulier et s'arrêta.
– Un beau soulier ! Quel dommage qu'il n'y ait pas la paire.
Et il continua sa route. Au bout de quelques mètres, il aperçut l'autre soulier et s'écria :
– Tiens ! voilà l'autre !
Et il mit son mouton à terre tandis qu'il retournait sur ses pas pour chercher le premier soulier qu'il avait vu à l'entrée du bois. Mais il ne le trouva pas et lorsqu'il revint vers son mouton, celui-ci avait disparu. Médéric l'avait emporté. Il eut beau fouiller les broussailles, il dut rentrer bredouille.[...]
Puis, pour les deux voisins, vint le moment de partager les profits. Arthur ne donna qu'un tiers de la somme reçue à Médéric, invoquant divers prétextes.
Celui-ci ne dit rien, mais au bout de trois jours, le marchand s'aperçut qu'il lui manquait trois moutons. Il pensa tout de suite à son voisin. Avant de sortir de chez lui, il fouilla dans sa
cassette3 et constata que l'argent de la vente des trois moutons avait disparu aussi.
– Ah ! Ah ! se dit-il, cela demande des explications.
Arthur courut chez Médéric, la rage au coeur. Mais il n'y avait personne. Le quêteux avait quitté sa pauvre
bicoque4. Mais il avait pris soin d'afficher sur sa porte un petit écriteau portant ces mots :
Du diable mon ami,
J'ai suivi les leçons.
Et grâce à vos moutons,
De simple apprenti
Me voici devenu patron.
Cécile Gagnon
Petits contes de ruse et de malice, « Les trois moutons », © Cécile Gagnon et al. et Éditions Les 400 coups, 1999.