Tout le monde craint la vieillesse : on la regarde comme un âge livré à la douleur et au chagrin, où tous les plaisirs et les agrémens disparoissent. Chacun perd en avançant dans l'âge, et les femmes plus que les hommes. Comme tout leur mérite consiste en agrémens extérieurs, et que le temps les détruit, elles se trouvent absolument dénuées : car il y a peu de femmes dont le mérite dure plus que la beauté. Voyons s'il n'est pas possible de les remplacer ; et, comme il n'y a point de si petit bien qui ne vaille quelque chose entre les mains d'une personne habile, mettons à profit le temps de la vieillesse et songeons à en faire usage pour notre perfection et pour notre bonheur.
Examinons les devoirs de la vieillesse, le respect et la décence qui sont dus à cet âge, et connoissons aussi les avantages qu'on en peut tirer pour en jouir.
La vie n'est pas dans l'espace du temps, mais dans l'usage qu'on en sait faire. Il faut faire un plan, et le suivre avec fermeté : car enfin, changer de dessein et de conduite, c'est couper notre vie ; nous l'abrégeons par notre légèreté, et nous l'allongeons par une conduite uniforme.
Ces réflexions, ma fille, qui sont à présent pour moi, seront un jour pour vous. Préparez-vous une vieillesse heureuse par une jeunesse innocente.
Souvenez-vous que le bel âge n'est qu'une fleur que vous verrez changer : les grâces vous abandonneront, la santé s'évanouira ; la vieillesse viendra effacer les fleurs de votre visage : quelque jeune que vous soyez, ce qui vient avec tant de rapidité n'est pas loin de vous. Nous avons en vieillissant les maux communs à l'humanité. Les maux du corps et de l'esprit sont à la suite d'un certain âge. « La vieillesse, dit Montaigne, attache plus de rides à l'esprit qu'au visage. »
Les passions nous attendent dans le cours de la vie, et il semble que ce soient des gîtes où il faut passer nécessairement. « Des passions ardentes, dit Montaigne, nous passons aux passions frileuses. »