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Partie 1 • Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
Partie 2 • La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle
Partie 3 • Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle
Partie 4 • La poésie du XIXe au XXIe siècle
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Chapitre 1.14
Texte 3
Littérature étrangère

Svetlana Alexievitch, La Supplication (1997)

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Texte

Le 26 avril 1986, un réacteur de la centrale nucléaire Tchernobyl explose près de la ville de Pripyat. Svetlana Alexievitch rassemble les récits de gens qui ont été touchés de près par la catastrophe.

Il y a eu une annonce à la radio : interdit d'emporter les chats ! Je voulais cacher ma minette dans une valise, mais il n'y avait pas moyen : elle se débattait, griffait tout le monde. Interdit aussi d'emporter des affaires personnelles ! D'accord, je ne prendrai rien. À l'exception d'une seule chose : la porte de mon appartement. Il m'était impossible de la laisser… […]

Notre porte... Notre talisman ! Une relique de famille. Mon père a été allongé sur cette porte. J'ignore l'usage ailleurs, mais, chez nous, ma mère disait qu'il fallait coucher les morts sur la porte de la maison en attendant de les mettre en bière. J'ai passé la nuit près de mon père, allongé sur cette porte... La maison est restée ouverte. Toute la nuit. Et sur cette même porte, il y a des marques, de bas en haut : ma taille à différents moments de mon existence. […] Et à côté, la croissance de mon fils et celle de ma fille. Toute notre vie était inscrite sur la porte. Comment pouvais‑je la laisser ?

J'ai demandé de l'aide à un voisin qui avait une voiture. Il m'a fait signe que j'étais timbré. Mais je l'ai récupérée quand même, la porte. Deux ans plus tard... De nuit... En moto... À travers la forêt... Notre appartement avait déjà été pillé. Nettoyé. Des miliciens me poursuivaient : « On va tirer ! On va tirer ! » Ils me prenaient pour un voleur. Voilà comment j'ai volé la porte de ma propre maison...

J'ai envoyé à l'hôpital ma fille et ma femme. Elles avaient des taches noires sur le corps. Elles apparaissaient et disparaissaient. […] Mais elles n'avaient pas mal. On leur a fait passer des examens. J'ai demandé les résultats.

On m'a répondu :
– Cela ne vous concerne pas.
– Ça concerne qui, alors ?

À l'époque, tout le monde disait que nous allions tous mourir. Que, vers l'an 2000, il n'y aurait plus de Biélorusses. Ma fille avait six ans. Elle me murmure à l'oreille : « Papa, je veux vivre, je suis encore petite. » Et moi qui pensais qu'elle ne comprenait pas...

Pouvez‑vous imaginer sept petites filles totalement chauves en même temps ? Elles étaient sept dans la chambre... Non, c'est assez ! Je ne peux pas continuer ! Lorsque je raconte cela, j'ai l'impression de commettre une trahison. C'est mon coeur qui me le dit. Parce que je dois la décrire comme une étrangère. Ses souffrances... […]

Nous l'avons allongée sur la porte... Sur la porte qui avait supporté mon père, jadis. Elle est restée là jusqu'à l'arrivée du petit cercueil... Il était à peine plus grand que la boîte d'une poupée.

Je veux témoigner que ma fille est morte à cause de Tchernobyl. Et qu'on veut nous faire oublier cela.
Nikolaï Fomitch Kalouguine, un père.
Traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain, © Éditions Jean‑Claude Lattès, 1998.
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Éclairage

"Ce livre ne parle pas de Tchernobyl, mais du monde de Tchernobyl. […] L'évènement en soi – ce qui s'est passé, qui est coupable… ne m'intéressait pas. Je m'intéressais aux sensations, aux sentiments des individus qui ont touché l'inconnu. Au mystère. Reconstituer les sentiments et non les évènements."
Svetlana Alexievitch,
préface de La Supplication, Éditions Jean‑Claude Lattès, 1998.
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Ressource complémentaire

Regardez un sur Alexievitch expliquant en quoi elle est un symbole de liberté et de contestation.
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Questions

1. En quoi ce témoignage est‑il pathétique ?

2.
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