Dans la périphérie des villes, de gigantesques
entrepôts ouverts le dimanche, des halles, offraient
des milliers de chaussures, d'outils et de meubles.
Les hypermarchés s'agrandissaient, les Caddies
étaient remplacés par d'autres plus grands [...].
On changeait de télé pour avoir la prise Péritel et
un magnétoscope. L'apparition de la nouveauté
laissait les gens calmes et la certitude d'un progrès
continu ôtait l'envie de l'imaginer. Ils accueillaient
les objets sans émerveillement ni angoisse, comme
un surcroît de liberté individuel et de plaisir. Avec
les disques compacts il n'était plus besoin de se
lever tous les quarts d'heure pour changer de face,
la télécommande permettait de ne pas bouger
du canapé de toute la soirée. Les cassettes vidéo
réalisaient le grand rêve du cinéma à domicile. [...]
Les espaces marchands s'élargissaient et se multipliaient jusque dans les campagnes en rectangles
de béton hérissés de panonceaux lisibles depuis
l'autoroute. Des lieux de consommation dure
[...] contenant chacun, en quantité monstrueuse,
la totalité des objets disponibles d'une même
gamme chaussures, vêtements, bricolages, et un
McDo en récompense pour les enfants. À côté,
l'hypermarché déroulait ses deux mille mètres
carrés de nourriture et de produits déclinés pour
chaque catégorie en une dizaine de marques. Faire
ses courses réclamait plus de temps et de complications, surtout pour ceux qui n'avaient qu'un
Smic1
à dépenser en un mois. La profusion de la
richesse occidentale se donnait
à voir et à toucher en couloirs
parallèles de marchandises où,
du haut de l'allée centrale,
le regard se perdait. Mais
on levait rarement la tête
[...]. L'ordre marchand se
resserrait, imposait son
rythme haletant. Les achats munis d'un
code‑barres passaient avec une célérité2
accrue
du plateau roulant au chariot dans un bip
discret escamotant3
le coût de la transaction en
une seconde. Les articles de la rentrée scolaire
surgissaient dans les rayons avant que les enfants
ne soient encore en vacances, les jouets de Noël
le lendemain de la Toussaint et les maillots
de bain en février. Le temps des choses nous
aspirait et nous obligeait à vivre sans arrêt avec
deux mois d'avance. Les gens accouraient aux
« ouvertures exceptionnelles » du dimanche, des
soirs jusqu'à onze heures, le premier jour des soldes
constituait un événement couvert par les médias.
« Faire des affaires », « profiter des promotions »
était un principe indiscuté, une obligation. Le
centre commercial, avec son hypermarché et ses
galeries de magasins, devenait le lieu principal de
l'existe.