SGANARELLE. – Ma femme, vous savez que je n'ai pas l'âme
endurante1, et que j'ai le bras assez bon.
MARTINE. – Je me moque de tes menaces.
SGANARELLE. – Ma petite femme,
ma mie2, votre peau vous démange,
à votre ordinaire3.
MARTINE. – Je te montrerai bien que je ne te crains nullement. [...] Crois-tu que je m'épouvante de tes paroles ?
SGANARELLE. – Doux objet de mes voeux, je vous frotterai les oreilles.
MARTINE. – Ivrogne que tu es !
SGANARELLE. – Je vous battrai.
MARTINE. – Sac à vin !
SGANARELLE. –
Je vous rosserai4.
MARTINE. – Infâme !
SGANARELLE. –
Je vous étrillerai4.
MARTINE. – Traître, insolent, trompeur, lâche, coquin,
pendard, gueux, belître, fripon, maraud5, voleur… !
SGANARELLE. -
Il prend un bâton, et lui en donne. – Ah ! vous en voulez donc ?
MARTINE. – Ah ! ah ! ah ! ah !
SGANARELLE. – Voilà le vrai moyen de vous apaiser.
[
Martine réfléchit au meilleur moyen de se venger de son mari. Deux hommes arrivent.]
MARTINE. – Oui, il faut que je m'en venge à quelque prix que ce soit : ces coups de bâton me reviennent au coeur, je ne les saurais digérer, et... (
Elle dit tout ceci en rêvant, de sorte que, ne prenant pas garde à ces deux hommes, elle les heurte en se retournant, et leur dit) Ah ! Messieurs, je vous demande pardon, je ne vous voyais pas et cherchais dans ma tête quelque chose qui m'embarrasse.
VALÈRE. – Chacun a ses
soins6 dans le monde et nous cherchons aussi ce que nous voudrions bien trouver.
MARTINE. – Serait-ce quelque chose, où je vous puisse aider ?
VALÈRE. – Cela se pourrait faire, et nous tâchons de rencontrer quelque habile homme, quelque médecin particulier, qui pût donner quelque soulagement à la fille de notre maître, attaquée d'une maladie qui lui a ôté, tout d'un coup, l'usage de la langue. Plusieurs médecins ont déjà épuisé toute leur science après elle. [...]
MARTINE
dit ces premières lignes bas. – Ah ! que le Ciel m'inspire une admirable invention pour me venger de mon pendard. (
Haut.) Vous ne pouviez jamais vous mieux adresser, pour rencontrer ce que vous cherchez, et nous avons ici, un homme, le plus merveilleux homme du monde, pour les maladies désespérées. [... Mais] il n'avouera jamais qu'il est médecin, [... à moins] que vous ne preniez, chacun, un bâton, et ne le réduisiez à force de coups, à vous
confesser7 à la fin, ce qu'il vous cachera d'abord. C'est ainsi que nous en usons, quand nous avons besoin de lui.
VALÈRE. – Voilà une étrange folie !
MARTINE. – Il est vrai. Mais après cela, vous verrez qu'il fait des merveilles.
VALÈRE. – Comment s'appelle-t-il ?
MARTINE. – Il s'appelle Sganarelle.
Molière
Le Médecin malgré lui, acte I, scènes 1 et 4, 1666.