– Te rappelles-tu du 17 octobre 1961, de l'appel à la manifestation et de sa préparation ?
– Fatéha : J'étais jeune. La veille, des hommes étaient venus frapper à la porte pour parler à mon père dehors. C'étaient deux Chaouis, Salah Ould [fils de] Guézal et Roger, on l'appelait ainsi car il ressemblait à un Français, il était roux. Mon père est revenu : « Oui demain il y a une manifestation, ils nous demandent d'aller au pont de Neuilly ! ». Le lendemain mon père est parti laissant ma mère, enceinte de Rachid, mon petit frère et moi. [...] Il était parti tout seul à la rue Maurice Thorez pour rejoindre des autres manifestants. [...] Les bus de la RATP emmenaient les gens à la manifestation du côté de l'Étoile. Mon cousin y alla avec sa fille pour prétendre qu'ils se baladaient. En revenant, il nous a dit : « J'ai regretté, j'ai vu des gens se faire tabasser et se faire jeter dans la Seine ! ». Il avait prit des coups lui aussi devant sa fille. La force policière avait tué beaucoup de manifestants. Et les ouvriers sans famille, les pauvres, qui allait les rechercher ? Personne. [...] Quand mon père revint, il ne nous raconta rien, il ne se confia qu'à ma mère. La seule chose qu'il nous ait dit est « la manifestation ne s'est pas passée comme on le voulait, je pense qu'il y a eu beaucoup de morts ! ». Il ne montrait jamais ses sentiments.