Avant d'accepter de se marier, et pour tester la sincérité de son futur mari,
Sylvia s'est fait passer pour sa servante Lisette ; mais son fiancé Dorante a eu
la même idée et s'est déguisé en son valet Arlequin. Pendant ce temps, Lisette
et Arlequin, eux aussi déguisés en leurs maîtres respectifs, se sont déclaré
leur amour sans connaître leur réelle identité.
Lisette. – Mais vous me pressiez sur notre mariage, et mon père ne
m'avait pas encore permis de vous répondre ; je viens de lui parler,
et j'ai son aveu pour vous dire que vous pouvez lui demander ma main
quand vous voudrez.
Arlequin. – Avant que je la demande à lui, souffrez que je la demande
à vous ; je veux lui rendre mes grâces de la charité qu'elle aura de vouloir
bien entrer dans la mienne qui en est véritablement indigne.
Lisette. – Je ne refuse pas de vous la prêter un moment, à condition que
vous la prendrez pour toujours.
Arlequin. – Chère petite main rondelette et potelée, je vous prends sans
marchander. Je ne suis pas en peine de l'honneur que vous me ferez ;
il n'y a que celui que je vous rendrai qui m'inquiète.
Lisette. – Vous m'en rendrez plus qu'il ne m'en faut.
Arlequin. – Ah ! que nenni ; vous ne savez pas cette arithmétique-là
aussi bien que moi.
Lisette. – Je regarde pourtant votre amour comme un présent du ciel.
Arlequin. – Le présent qu'il vous a fait ne le ruinera pas ; il est bien
mesquin.
Lisette. – Je ne le trouve que trop magnifique.
Arlequin. – C'est que vous ne le voyez pas au grand jour.
Lisette. – Vous ne sauriez croire combien votre modestie m'embarrasse.
Arlequin. – Ne faites point dépense d'embarras ; je serais bien effronté,
si je n'étais modeste.
Lisette. – Enfin, monsieur, faut-il vous dire que c'est moi que votre
tendresse honore ?
Arlequin. – Aïe ! aïe ! je ne sais plus où me mettre.
Lisette. – Encore une fois, monsieur, je me connais.
Arlequin. – Eh ! je me connais bien aussi, et je n'ai pas là une fameuse
connaissance ; ni vous non plus, quand vous l'aurez faite ; mais, c'est là
le diable que de me connaître ; vous ne vous attendez pas au fond du sac.
Lisette, à part. – Tant d'abaissement n'est pas naturel ! (Haut.) D'où vient
me dites-vous cela ?
Arlequin. – Eh ! voilà où gît le lièvre1.
Lisette. – Mais encore ? vous m'inquiétez. Est-ce que vous n'êtes pas ?...
Arlequin. – Aïe ! aïe ! vous m'ôtez ma couverture.
Lisette. – Sachons de quoi il s'agit.
Arlequin, à part. – Préparons un peu cette affaire-là... (Haut.) Madame,
votre amour est-il d'une constitution bien robuste ? Soutiendra-t-il bien
la fatigue que je vais lui donner ? Un mauvais gîte lui fait-il peur ? Je vais
le loger petitement.
Lisette. – Ah ! tirez-moi d'inquiétude. En un mot, qui êtes-vous ?
Arlequin. – Je suis... N'avez-vous jamais vu de fausse monnaie ? savezvous
ce que c'est qu'un louis d'or faux ? Eh bien, je ressemble assez à cela.
Lisette. – Achevez donc. Quel est votre nom ?
Arlequin. – Mon nom ? (À part.) Lui dirai-je que je m'appelle Arlequin ?
Non ; cela rime trop avec coquin.
Lisette. – Eh bien !
Arlequin. – Ah dame ! il y a un peu à tirer ici ! Haïssez-vous la qualité
de soldat ?
Lisette. – Qu'appelez-vous un soldat ?
Arlequin. – Oui, par exemple, un soldat d'antichambre.
Lisette. – Un soldat d'antichambre ! Ce n'est donc point Dorante à qui
je parle enfin ?
Arlequin. – C'est lui qui est mon capitaine.
Lisette. – Faquin2 !
Arlequin, à part. – Je n'ai pu éviter la rime.
1. Voilà où gît le lièvre : voilà le nœud du problème.
Hic jacet lepus : expression latine signifiant « ici se trouve le lièvre », autrement
dit le nœud du problème ; de là vient l'expression française « voilà le hic ».
2. Faquin : personne méprisable, vaniteuse et sotte.