Morgane regarda Guenièvre avec tant de fureur que chacun put lire l'envie de meurtre sur son visage. Et, perdant toute retenue, elle allait se mettre à l'insulter quand elle se sentit tout à coup devenir l'objet d'une horrible métamorphose. Elle vit ses mains, en un instant, flétrir et se recroqueviller, elle entendit craquer les os de son dos tandis qu'elle se courbait en avant et que ses cheveux, devenus d'un blanc verdâtre, coulaient
en mèches visqueuses1 de chaque côté de son visage Elle passa une main tremblante sur ses joues et cela fit un bruit d'écorce râpeuse, et dans sa robe ses seins, séchés en gourdes plates, pendaient jusqu'à son nombril.
Elle se mit à gémir de désespoir. Le roi et la reine, et tous les assistants, la regardaient avec horreur et les plus proches s'écartaient d'elle car elle puait.
– Te voilà telle que tu es, dit une voix grave, quand tu te laisses envahir par la haine. Et telle que tu deviendras vraiment si tu ne la chasses hors de toi...
Tout le monde se tourna vers la porte, où se tenait un homme jeune en robe d'or [...].
– Merlin ! s'écria Arthur.
[...] Morgane avait repris rapidement son aspect habituel, son corps ferme, ses yeux brillants, ses cheveux rétifs2, sa bouche vive, tout ce qui faisait d'elle la femme la plus attirante de l'entourage du roi. Ce qu'elle venait de subir l'avait bouleversée, mais ne l'avait pas délivrée de la haine, au contraire. La rage bouillonnait dans son sang.
1. Visqueuses : gluantes.
2. Rétifs : difficiles à lisser.