Lorsque [le dragon] fut debout, sa tête recouverte d'écailles, couronnée de pointes et pourvue d'une triple langue, s'élevait plus haut que la tour éventrée1 [...]. Ses écailles gris-noir absorbaient la lumière comme des rochers brisés. [...] Ged le regarda, stupéfait, car aucune chanson, aucun conte ne pouvait préparer l'esprit à un tel spectacle. [...]
– J'avais huit fils, petit sorcier, tonna la voix sèche du dragon. Cinq sont morts, un sixième est mourant : cela suffit. Tu ne t'empareras pas de mon trésor au prix de leur vie...
– Je ne veux pas de ton trésor. [...] Je suis venu pour conclure un marché.
Aussi effilée2 qu'une épée, mais cinq fois plus longue, la pointe de la queue du dragon s'arqua3 comme celle d'un scorpion au-dessus de la cuirasse de son dos, plus haut que la tour. Il répliqua sèchement :
– Je ne conclus jamais de marché. Je prends. [...] Tu me menaces ! Avec quelle arme ?
– Avec ton nom, Yevaud. [...] Nous sommes à égalité, Yevaud.
Tu as ta force, et j'ai ton nom.
1. Éventrée : détruite, ouverte en deux.
2. Effilée : coupante.
3. S'arqua : se courba, se plia.