Pendant dix-sept jours, il navigue en pleine mer. Le dix-huitième, les
monts de Phéacie1 apparaissent enfin : la terre est toute proche.
Mais Poséidon, le seigneur qui ébranle la terre, revenait de chez les
Éthiopiens. Quand il aperçoit Ulysse sur son radeau, sa colère redouble et,
secouant la tête, il dit : « Ah ! Misère ! Voilà que, quand j'étais en Afrique,
les dieux ont changé leurs plans pour Ulysse. Bientôt il atteindra les rives
phéaciennes, où il sera sauvé. Mais je dis qu'il me reste à lui jeter encore
sa charge de malheurs ! »
Alors, prenant son trident et rassemblant les nuages, il démonte la mer
et déchaîne les rafales. Le ciel s'assombrit : ensemble s'abattent tous les
vents des quatre coins de la terre. Une vague terrible frappe le radeau et
le renverse ! Ulysse est projeté à l'eau et la fureur des vents casse le mât en
deux. Ulysse demeure longtemps sous l'eau, sans pouvoir remonter sous
l'assaut des vagues et à cause du poids de ses habits. Enfin, il émerge.
Sa bouche recrache l'eau qui ruisselle de sa tête. Épuisé, il ne pense qu'à
son radeau : dans un grand effort, il va le reprendre, puis s'assoit au milieu
pour éviter la mort et laisse la mer furieuse l'entraîner au gré des courants.
Mais Ino aux belles chevilles2 l'aperçoit. Elle prend
en pitié le héros. Sous la forme d'une mouette, elle
sort de l'eau et, se posant sur le bord du radeau, elle
parle doucement : « Écoute-moi bien, tu parais plein de
sens. Quitte ces vêtements ; laisse aller ton radeau là où
l'emportent les vents et nage ! Tâche, à la force de tes
bras, de toucher au rivage de cette Phéacie, où tu seras
sain et sauf. Prends ce voile divin, mets-le autour de ton
torse, et tu n'auras plus à craindre ni la souffrance ni la
mort. »
1. Lieu imaginaire.
2. Ino est une divinité
protectrice des marins.