Olympe de Gouges - Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

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Ch. 3
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Ch. 4
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Ch. 5
Grammaire
Ch. 6
Parcours
Ch. 7
Dissertation
Ch. 8
Contraction et essai
Ch. 9
Prolongements
Œuvre intégrale

Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

Postambule

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Femme, réveille‑toi ; le toscin1 de la raison se fait entendre dans tout l'univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l'usurpation2. L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! femmes, quand cesserez‑vous d'être aveugles ?
Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n'avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire3 est détruit. Que vous reste‑t‑il donc ? La conviction des injustices de l'homme. La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets4 de la nature. Qu'auriez‑vous à redouter pour une si belle entreprise5 ? Le bon mot du législateur des noces de Cana6 ? Craignez‑vous que nos législateurs français, correcteurs de cette morale longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n'est plus de saison7, ne nous répètent :
« Femmes, qu'y a‑t‑il de commun entre vous et nous ? » « Tout », auriez‑vous à répondre. S'ils s'obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence8 en contradiction avec leurs principes, opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité, réunissez‑vous sous les étendards de la philosophie, déployez toute l'énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces
orgueilleux, non serviles9 adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l'Être suprême10. Quelles que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir11 ; vous n'avez qu'à le vouloir. Passons maintenant à l'effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société ; et puisqu'il est question, en ce moment, d'une éducation nationale,
voyons si nos sages législateurs penseront sainement sur l'éducation des femmes12.


1. Cloche que l'on sonne de manière prolongée pour alerter d'un danger grave (une catastrophe naturelle, une guerre, etc.).
2. Fait de s'attribuer quelque chose de façon illégitime, sans y avoir droit.
3. Pouvoir, influence.
4. Lois.
5. Action, projet.
6. Dans l'épisode biblique des noces de Cana, relaté dans l'évangile selon saint Jean (Jean 2, 1‑11), Jésus répond à sa mère qui l'informe que les invités n'ont plus de vin : « Femme, que me veux‑tu ? », ou dans une autre traduction à laquelle Gouges fait référence à la phrase suivante : « Femme, qu'y a‑t‑il de commun entre toi et moi ? » Cette phrase a souvent été utilisée pour montrer la misogynie du Christ, de la religion chrétienne. On peut l'interpréter d'une autre manière : Jésus, par le mot « femme », renvoie sa mère à sa condition d'être humain, tandis que lui, fils de Dieu, s'apprête à accomplir son premier miracle en changeant de l'eau en vin, et ainsi à révéler sa nature divine. La traduction littérale, qui serait : « Femme, quoi, de toi à moi ? » peut être reformulée d'autres manières, par exemple : « Femme, qu'attends‑tu de moi ? »
7. Qui n'est plus d'actualité. La Révolution française a posé les bases de la laïcité, de la dissociation entre l'Église et l'État (voir par exemple de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen).
8. Réponse inattendue, provocation.
9. Soumis.
10. Opposés aux religions traditionnelles, certains philosophes des Lumières (notamment d'Alembert, Voltaire et Rousseau) ont défendu des formes de culte déiste à l'Être suprême, le créateur du monde, et le déisme est en vogue parmi les révolutionnaires. Sous le gouvernement révolutionnaire (1793‑1794), ce culte donnera lieu à de nombreuses cérémonies civiques et religieuses.
11. Franchir ; on peut comprendre aussi : de vous en affranchir, de vous en libérer.
12. Talleyrand et ses collaborateurs sont en train de terminer leur Rapport sur l'instruction publique, fait au nom du Comité de constitution à l'Assemblée nationale, qu'ils présenteront les 10, 11 et 19 septembre 1791. Ce rapport défend la nécessité d'une organisation nationale de l'enseignement, capable d'éclairer la nation tout entière : l'instruction doit être égale pour tous les individus, hommes et femmes de toutes classes sociales (voir le post‑scriptum, ).
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Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été leur partage1. Ce que la force leur avait ravi2, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le poison, le fer, tout leur était soumis ; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de
l'administration nocturne des femmes3. Le cabinet4 n'avait point de secret pour leur indiscrétion ; ambassade, commandement, ministère, présidence, pontificat5, cardinalat*, enfin tout ce qui caractérise la sottise des hommes, profane6 et sacré, tout a été soumis à la cupidité7 et à l'ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la Révolution, respectable et méprisé.

* M. de Bernis, de la façon de8 Madame de Pompadour.


1. Leur lot ; ce qui les a caractérisées.
2. Volé.
3. Des femmes qui se servaient de leur pouvoir de séduction pour influencer les hommes politiques quand ils étaient dans leurs bras.
4. Mot polysémique : pièce à l'écart, propice aux secrets ; lieu d'exercice de certaines professions (avocat, ministre, etc.) ; proches conseillers d'une personne de pouvoir.
5. Le pape et ses proches collaborateurs.
6. Qui n'est pas religieux ; antonyme de sacré.
7. Désir immodéré de richesses.
8. Façonné par. Un cardinal est un homme haut placé dans la hiérarchie de l'Église catholique. Le cardinal de Bernis, alors abbé, se lie d'amitié avec Mme de Pompadour, qui deviendra la favorite (la maitresse principale) de Louis XV. Il lui enseigne les usages de l'aristocratie ; elle le récompense en lui obtenant une pension royale et en lançant sa carrière.
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Dans cette sorte d'antithèse, que de remarques n'ai‑je point à offrir ! Je n'ai qu'un moment pour les faire, mais ce moment fixera l'attention de la postérité la plus reculée.
Sous l'Ancien Régime, tout était vicieux, tout était coupable ; mais ne pourrait‑on pas apercevoir l'amélioration des choses dans la substance même des vices ?
Une femme n'avait besoin que d'être belle ou aimable ; quand elle possédait ces deux avantages, elle voyait cent fortunes à ses pieds. Si elle n'en profitait pas,
elle avait un caractère bizarre, ou une philosophie peu commune,
qui la portait au mépris des richesses ; alors elle n'était plus considérée que comme une mauvaise tête. La plus indécente se faisait respecter avec de l'or. Le commerce des femmes était une espèce d'industrie reçue dans la première classe1, qui, désormais, n'aura plus de crédit2. S'il en avait encore, la Révolution serait perdue, et sous de nouveaux rapports, nous serions toujours corrompus.
Cependant la raison peut‑elle se dissimuler que tout autre chemin à la fortune est fermé à la femme que l'homme achète, comme l'esclave sur les côtes d'Afrique3 ? La différence est grande ; on le sait. L'esclave commande au maitre ; mais si le maitre lui donne la liberté sans récompense, et à un âge où l'esclave a perdu tous ses charmes, que devient cette infortunée ? Le jouet du mépris ; les portes mêmes de la bienfaisance lui sont fermées. Elle est pauvre et vieille, dit‑on ;
pourquoi n'a‑t‑elle pas su faire fortune ? D'autres exemples encore plus touchants s'offrent à la raison. Une jeune personne sans expérience, séduite par un homme qu'elle aime, abandonnera ses parents pour le suivre ; l'ingrat la laissera après quelques années, et plus elle aura vieilli avec lui, plus son inconstance4 sera inhumaine ; si elle a des enfants, il l'abandonnera de même. S'il est riche, il se croira dispensé de partager sa fortune avec ses nobles victimes. Si quelque engagement le lie à ses devoirs, il en violera la puissance en espérant tout des lois. S'il est marié, tout autre engagement
perd ses droits. Quelles lois reste‑t‑il donc à faire pour extirper5 le vice jusque dans la racine ? Celle du partage des fortunes entre les hommes et les femmes, et de l'administration public6. On conçoit aisément que celle qui est née d'une famille riche gagne beaucoup avec l'égalité des partages7. Mais celle qui est née d'une famille pauvre, avec du mérite et des vertus ; quel est son lot ? La pauvreté et l'opprobre8. Si elle n'excelle pas précisément en musique ou en peinture, elle ne peut être admise à aucune fonction publique, quand elle en aurait toute la capacité.
Je ne veux donner qu'un aperçu des choses, je les approfondirai dans la nouvelle édition de tous mes ouvrages politiques que je me propose de donner au public dans quelques jours, avec des notes.


1. La noblesse de cour.
2. D'influence.
3. Sur l'engagement de Gouges contre l'esclavage, voir .
4. Désir de changement, manque en amour.
5. Arracher.
6. Du partage des postes dans l'administration publique (voir ).
7. Entre les enfants, au sein de la famille.
8. Honte, déshonneur.
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Je reprends mon texte quant aux mœurs. Le mariage est le tombeau de la confiance et de l'amour. La femme mariée peut impunément1. donner des bâtards2 à son mari, et la fortune qui ne leur appartient pas. Celle qui ne l'est pas n'a qu'un faible droit : les lois anciennes et inhumaines lui refusaient ce droit sur le nom et sur le bien3 de leur père, pour ses enfants, et l'on n'a pas fait de nouvelles lois sur cette matière. Si tenter de donner à mon sexe une consistance honorable et juste est considéré dans ce moment comme un paradoxe de ma part,et comme tenter l'impossible, je laisse aux hommes à venir la gloire de traiter cette matière ; mais, en attendant, on peut la préparer par l'éducation nationale, par la restauration des mœurs4.


1. Sans problème ; sans être punie par la loi.
2. Enfants nés d'un adultère.
3. Le patrimoine.
4. Le fait de corriger les comportements sociaux.
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Forme du contrat social1 de l'homme et de la femme


Nous N et N, mus2 par notre propre volonté, nous unissons pour le terme de notre vie, et pour la durée de nos penchants3 mutuels, aux conditions suivantes :

Nous entendons4 et voulons mettre nos fortunes en communauté5, en nous réservant cependant le droit de les séparer en faveur de nos enfants, et de ceux que nous pourrions avoir d'une inclination6 particulière, reconnaissant mutuellement que notre bien7 appartient directement à nos enfants, de quelque lit qu'ils sortent8, et que tous indistinctement ont le droit de porter le nom des pères et mères qui les ont avoués9, et [nous] nous imposons de souscrire à10 la loi qui punit l'abnégation de son propre sang11. Nous nous obligeons également, au cas de séparation, de faire le partage de notre fortune, et de prélever la portion de nos enfants indiquée par la loi. Et en cas d'union parfaite, celui qui viendrait à mourir se désisterait de la moitié de ses propriétés en faveur de ses enfants ;
et si l'un mourait sans enfants, le survivant hériterait de droit, à moins que le mourant n'ait disposé de12 la moitié du bien commun en faveur de qui il jugerait à propos.


1. Du contrat social, publié par Rousseau en 1762, est un modèle à l'époque révolutionnaire. Il a été un ouvrage de référence pour la rédaction de la Constitution.
2. Poussés.
3. Notre attirance.
4. Avons la ferme intention de.
5. En commun.
6. D'un penchant, d'une attirance (en dehors de cette union).
7. Ce que nous possédons.
8. Qu'ils soient nés de cette union ou d'une autre.
9. Reconnus.
10. Respecter.
11. Le fait de renier ses propres enfants.
12. Décidé de léguer.
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Voilà à peu près la formule de l'acte conjugal dont je propose l'exécution. À la lecture de ce bizarre écrit, je vois s'élever contre moi les tartuffes1, les bégueules2, le clergé et toute la séquelle3 infernale. Mais combien il offrira aux sages de moyens moraux pour arriver à la perfectibilité d'un gouvernement heureux ! J'en vais donner en peu de mots la preuve physique. Le riche épicurien4 sans enfants trouve fort bon d'aller chez son voisin pauvre
augmenter sa famille5. Lorsqu'il y aura une loi qui autorisera la femme du pauvre à faire adopter au riche ses enfants, les liens de la société seront plus resserrés, et les mœurs plus épurées. Cette loi conservera peut‑être le bien de la communauté et retiendra le désordre qui conduit tant de victimes dans les hospices6 de l'opprobre7, de la bassesse et de la dégénération des principes humains, où, depuis longtemps, gémit la nature. Que les détracteurs8 de la saine philosophie cessent donc de se récrier9 contre les mœurs primitives, ou qu'ils aillent se perdre dans la source de leurs citations*.

* Abraham eut des enfants très légitimes d'Agar, servante de sa femme 10.


1. Hypocrites, notamment par rapport à la morale religieuse (en référence au personnage de Molière). Les catholiques conservateurs s'opposent fortement au mariage civil institué dans la Constitution de 1791 ; ils s'opposeront de même au divorce, institué en 1792, car il remet en cause le caractère sacré du mariage. Dans la réalité, les relations adultères étaient fréquentes.
2. D'une pruderie, d'une austérité excessive et hypocrite.
3. Suite.
4. Personne qui profite des plaisirs de la vie, libertin.
5. La famille du pauvre (en ayant des relations sexuelles avec sa femme).
6. Établissements qui accueillent les personnes les plus démunies, dont les enfants abandonnés.
7. Honte.
8. Accusateurs, opposants.
9. S'indigner.
10. Gouges rappelle aux « tartuffes » et aux « bégueules » qu'Abraham lui‑même a eu des enfants légitimes (selon la Bible, un enfant : Ismaël) avec une autre femme que son épouse Sarah. En effet, celle‑ci étant stérile, elle permet à Abraham d'avoir un enfant avec Agar afin qu'il puisse avoir une descendance.
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Je voudrais encore une loi qui avantageât les veuves et les demoiselles trompées par les fausses promesses d'un homme à qui elles se seraient attachées ; je voudrais, dis‑je, que cette loi forçât un inconstant à tenir ses engagements, ou à une indemnité proportionnelle à sa fortune. Je voudrais encore que cette loi fût rigoureuse contre les femmes, du moins pour celles qui auraient le front1 de recourir à une loi qu'elles auraient elles‑mêmes enfreinte par leur inconduite,
si la preuve en était faite. Je voudrais, en même temps, comme je l'ai exposé dans Le Bonheur primitif de l'homme, en 1788, que les filles publiques2 fussent placées dans des quartiers désignés.
Ce ne sont pas les femmes publiques qui contribuent le plus à la dépravation3 des mœurs, ce sont les femmes de la société.


1. L'effronterie, l'audace.
2. Prostituées.
3. Immoralité, notamment sur le plan sexuel.
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En restaurant1 les dernières, on modifie les premières. Cette chaine d'union fraternelle offrira d'abord le désordre, mais par les suites, elle produira à la fin un ensemble parfait.

J'offre un moyen invincible pour élever l'âme des femmes ; c'est de les joindre à tous les exercices de l'homme : si l'homme s'obstine à trouver ce moyen impraticable, qu'il partage sa fortune avec la femme, non à son caprice, mais par la sagesse des lois. Le préjugé tombe, les mœurs s'épurent, et la nature reprend tous ses droits. Ajoutez‑y le mariage des prêtres, le Roi raffermi sur son trône2, et le gouvernement français ne saurait plus périr.


1. Corrigeant le comportement (des femmes de la société).
2. Comme la plupart des révolutionnaires à ce moment‑là, Gouges ne souhaite pas que le roi soit destitué. La Constitution, proclamée quelques jours avant la publication de ce texte, instaure une monarchie constitutionnelle (► ).
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Il était bien nécessaire que je dise quelques mots sur les troubles que cause, dit‑on, le décret en faveur des hommes de couleur1,
dans nos iles. C'est là où la nature frémit d'horreur ; c'est là où la raison et l'humanité n'ont pas encore touché les âmes endurcies ; c'est là surtout où la division et la discorde agitent leurs habitants. Il n'est pas difficile de deviner les instigateurs de2 ces fermentations3 incendiaires : il y en a dans le sein même de l'Assemblée nationale. Ils allument en Europe le feu qui doit embraser l'Amérique. Les colons prétendent régner en despotes sur des hommes dont ils sont les pères et les frères ; et méconnaissant les droits de la nature, ils en poursuivent la source4 jusque dans la plus petite teinte de leur sang. Ces colons inhumains disent : « Notre sang circule dans leurs veines, mais nous le répandrons tout5, s'il le faut, pour assouvir notre cupidité ou notre aveugle ambition. » C'est dans ces lieux les plus près de la nature que le père méconnait le fils ; sourd aux cris du sang, il en étouffe tous les charmes6. Que peut‑on espérer de la résistance qu'on lui7 oppose ? La contraindre avec violence, c'est la rendre terrible, la laisser encore dans les fers, c'est acheminer toutes les calamités vers l'Amérique. Une main divine semble répandre partout l'apanage de l'homme, la liberté ; la loi seule a le droit de réprimer cette liberté, si elle dégénère en licence8 ; mais elle doit être égale pour tous,
c'est elle surtout qui doit renfermer9 l'Assemblée nationale dans son décret, dicté par la prudence et par la justice. Puisse‑t‑elle agir de même pour l'état de la France, et se rendre aussi attentive sur les nouveaux abus, comme elle l'a été sur les anciens qui deviennent chaque jour plus effroyables ! Mon opinion serait encore de raccommoder le pouvoir exécutif avec le pouvoir législatif10, car il me semble que l'un est tout, et que l'autre n'est rien ; d'où naitra, malheureusement peut‑être, la perte de l'empire français11. Je considère ces deux pouvoirs comme l'homme et la femme* qui doivent être unis, mais égaux en force et en vertu, pour faire un bon ménage.

* Dans le souper magique de M. de Merville, Ninon demande quelle est la maitresse de Louis XVI. On lui répond, c'est la nation, cette maitresse corrompra le gouvernement si elle prend trop d'empire12.


1. Décret du 15 mai 1791, qui accorde aux « gens de couleur nés de père et de mère libres », l'égalité avec les citoyens blancs en ce qui concerne les droits énoncés dans la Déclaration de 1789. Au XVIIIe siècle, l'expression gens de couleur désigne les personnes métisses dans les colonies françaises des Amériques. Sur les troubles évoqués, voir .
2. Personnes qui sont à l'origine de.
3. Troubles
4. La source des droits de la nature, qui se retrouve dans les liens du sang. Les esclaves enfants d'un maitre ont droit à l'éheritage par le droit du sang.
5. Entièrement.
6. La puissance du lien entre père et fils.
7. Qu'on oppose à la nature, au « sang », aux naturels entre père et fils.
8. Liberté excessive.
9. Donner un cadre à, guider.
10. Réconcilier le roi et l'Assemblée nationale législative.
11. De la puissance française.
12. De pouvoir.
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Il est donc vrai que nul individu ne peut échapper à son sort ; j'en fais l'expérience aujourd'hui.

J'avais résolu et décidé de ne pas me permettre le plus petit mot pour rire dans cette production, mais le sort en a décidé autrement. Voici le fait : l'économie n'est point défendue, surtout dans ce temps de misère. J'habite la campagne. Ce matin à huit heures je suis partie d'Auteuil, et me suis acheminée vers la route qui conduit de Paris à Versailles, où l'on trouve souvent ces fameuses guingettes1 qui ramassent les passants à peu de frais. Sans doute une mauvaise étoile me poursuivait dès le matin. J'arrive à la barrière2 où je ne trouve pas même le triste sapin3 aristocrate. Je me repose sur les marches de cet édifice insolent qui recelait des commis4.
Neuf heures sonnent, et je continue mon chemin : une voiture s'offre à mes regards, j'y prends place, et j'arrive à neuf heures un quart, à deux montres différentes, au Pont‑Royal. J'y prends le sapin, et je vole chez mon imprimeur, rue Christine, car
je ne peux aller que là si matin5 : en corrigeant mes épreuves6, il me reste toujours quelque chose à faire, si les pages ne sont pas bien serrées et remplies. Je reste à peu près vingt minutes, et fatiguée de marche, de composition7 et d'impression, je me propose d'aller prendre un bain dans le quartier du Temple, où j'allais diner8.
J'arrive à onze heures moins un quart, à la pendule du bain ; je devais donc au cocher9 une heure et demie ; mais pour ne pas avoir de dispute avec lui, je lui offre 48 sols10 : il exige plus, comme d'ordinaire ; il fait du bruit. Je m'obstine à ne vouloir plus lui donner11 que son dû, car l'être équitable aime mieux être généreux que dupe12. Je le menace de la loi, il me dit qu'il s'en moque, et que je lui paierai deux heures. Nous arrivons chez un commissaire de paix13, que j'ai la générosité de ne pas nommer, quoique l'acte d'autorité qu'il s'est permis envers moi mérite une dénonciation formelle. Il ignorait sans doute que la femme qui réclamait sa justice était la femme auteure de tant de bienfaisance et d'équité. Sans avoir égard à 14 mes raisons, il me condamne impitoyablement à payer au cocher ce qu'il demandait. Connaissant mieux la loi que lui, je lui dis : « Monsieur, je m'y refuse, et je vous prie de faire attention que vous n'êtes pas dans le principe de votre charge 15 ». Alors cet homme, ou, pour mieux dire, ce forcené s'emporte, me menace de la force si je ne paye à l'instant, ou de rester toute la journée dans son bureau. Je lui demande de me faire conduire au tribunal de département ou à la mairie, ayant à me plaindre de son coup d'autorité. Le grave magistrat, en redingote 16 poudreuse et dégoutante comme sa conversation, m'a dit plaisamment : « Cette affaire ira sans doute à l'Assemblée nationale ? » « Cela se pourrait bien », lui dis‑je ; et je m'en fus moitié furieuse et moitié riant du jugement de ce moderne Brid'oison 17, en disant : « C'est donc là l'espèce d'homme qui doit juger un peuple éclairé ! » On ne voit que cela. Semblables aventures arrivent indistinctement aux bons patriotes, comme aux mauvais. Il n'y a qu'un cri sur 18 les désordres des sections 19 et des tribunaux. La justice ne se rend pas ; la loi est méconnue, et la police se fait Dieu sait comment.
On ne peut plus retrouver les cochers à qui l'on confie des effets 20 ; ils changent les numéros 21 à leur fantaisie, et plusieurs personnes, ainsi que moi, ont fait des pertes considérables dans les voitures. Sous l'Ancien Régime, quel que fût son brigandage, on trouvait la trace de ses pertes, en faisant un appel nominal des cochers et par l'inspection exacte des numéros ; enfin on était en sûreté.
Que font ces juges de paix ? Que font ces commissaires, ces inspecteurs du nouveau régime ? Rien que des sottises et des monopoles. L'Assemblée nationale doit fixer toute son attention sur cette partie qui embrasse 22 l'ordre social.


1. Restaurants‑cabarets, le plus souvent en plein air.
2. Poste situé à l'entrée des villes et qui servait à percevoir les droits d'entrée (cette taxe a été supprimée par l'Assemblée nationale à partir du 1er mai 1791).
3. Fiacre (taxi tiré par un cheval).
4. Employés.
5. Si tôt.
6. Feuilles imprimées servant à la correction d'un texte avant sa publication.
7. En imprimerie, assemblage des caractères pour former des lignes de texte.
8. Déjeuner, prendre le repas du milieu de la journée.
9. Chauffeur.
10. Monnaie de l'époque.
11. À ne pas vouloir lui donner plus.
12. Que trompé (que de se faire avoir).
13. Juge.
14. Tenir compte de.
15. Fonction.
16. Veste longue.
17. Personnage de juge ridicule et sot dans Le Mariage de Figaro (1784), célèbre pièce de Beaumarchais. Gouges, admiratrice de cette pièce, en a écrit une suite : Le Mariage inattendu de Chérubin (1786).
18. Tout le monde dénonce.
19. À peu près l'équivalent de mairies de quartiers à Paris, entre 1790 et 1795.
20. Affaires personnelles.
21. Les numéros des voitures, qui permettaient de les identifier.
22. Concerne.
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P.S. Cet ouvrage était composé depuis quelques jours ; il a été retardé encore à l'impression, et au moment où M. Talleyrand, dont le nom sera toujours cher à la postérité, venait de donner son ouvrage sur les principes de l'éducation nationale1, cette production était déjà sous la presse2. Heureuse si je me suis rencontrée avec les vues3 de cet orateur ! Cependant je ne puis m'empêcher d'arrêter la presse et de faire éclater la pure joie que mon cœur a ressentie à la nouvelle que le roi venait d'accepter la Constitution4, et que l'Assemblée nationale – que j'adore actuellement, sans excepter l'abbé Maury5 ; et La Fayette6 est un dieu – avait proclamé d'une voix unanime une amnistie générale7. Providence divine, fais que cette joie publique ne soit pas une fausse illusion ! Renvoie‑nous, en corps8, tous nos fugitifs9, et que je puisse avec un peuple aimant voler sur leur passage ; et dans ce jour solennel, nous rendrons tous hommage à ta puissance.


1. Note 12 : Talleyrand et ses collaborateurs sont en train de terminer leur Rapport sur l'instruction publique, fait au nom du Comité de constitution à l'Assemblée nationale, qu'ils présenteront les 10, 11 et 19 septembre 1791. Ce rapport défend la nécessité d'une organisation nationale de l'enseignement, capable d'éclairer la nation tout entière : l'instruction doit être égale pour tous les individus, hommes et femmes de toutes classes sociales (voir le post‑scriptum, ). ().
2. En train d'être imprimée.
3. Jugements. Il faut toutefois noter que, pour Talleyrand, l'instruction des femmes doit être;liée à leur fonction dans la société : comme leur rôle est « le bonheur domestique et les devoirs de la vie intérieure, il faut les former de bonne heure pour remplir cette destination », écrit‑il dans son rapport. Mary Wollstonecraft, surnommée « l'Olympe de Gouges anglaise », compose son œuvre majeure, Défense des droits de la femme (A Vindication of the Rights of Woman), en réaction à ce rapport de Talleyrand. Elle s'y insurge contre le double standard(« deux poids, deux mesures ») qui existe entre les hommes et les femmes.
4. Le 14 septembre 1791. La France devient ainsi une monarchie constitutionnelle.
5. Député qui défend le clergé et la noblesse.
6. Homme politique qui a joué un rôle important dans la guerre d'indépendance américaine, puis dans la Révolution française. Il participe à la rédaction de la Déclaration de 1789.
7. Mesure par laquelle les sanctions données suite à des crimes, des délits, sont effacées, « oubliées ».
8. Ensemble, en un seul groupe.
9. Nobles ayant émigré à l'étranger suite à la Révolution.

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