Les réformes suivirent.
Cette fois, point de compassion solennelle. Le tour de vis fut donné,
progressivement, au fur et à mesure des inspirations maternelles. Affirmer
son autorité chaque jour par une nouvelle vexation était la seule joie de
Mme Rezeau. Elle sut nous tenir en haleine, nous observer, remarquer et
détruire nos moindres plaisirs.
Le premier droit qui nous fut retiré fut celui de l'ourson… ou petit tour
(signé Frédie). Nous avions jusqu'alors licence de nous promener dans
le parc, à la seule condition de ne pas franchir les routes qui le bordent.
Mademoiselle n'était pas encore partie, lorsque notre mère prit feu, en
plein déjeuner, ce qui était contraire à ses habitudes, car, en principe, elle
préférait manœuvrer son mari dans l'intimité.
« Jacques, tes enfants deviennent impossibles, surtout Brasse‑Bouillon.
Je ne peux pas les laisser galoper comme des veaux échappés. Un de ces
jours, nous en retrouverons un sous les roues d'une auto. Ils ne sont jamais
rentrés à l'heure exacte. N'est‑ce pas, mon père ?
– Euh ! fit celui‑ci, entre deux cuillerées de potage.
– Tes mains, Brasse‑Bouillon ! » cria Mme Rezeau. Et, comme je ne les
remettais pas assez vite sur la table, un coup de fourchette, dents en avant
vint les ponctuer de quatre points rouges.
« Avec le dos, Paule ! Avec le dos. Cela suffit », gémit papa, qui reprit :
« Tu ne peux tout de même pas attacher ces gosses.
– Non, mais je pense qu'il devient nécessaire de leur interdire de dépasser
les barrières blanches. »
Elle nous parquait ainsi dans un espace de trois cents mètres carrés.
« Vous n'êtes pas de mon avis, Jacques ? » Le « vous » décida mon père
a céder. Il le lui rendit d'ailleurs, ce qui signifiait chez lui non la colère,
mais la lassitude.
« Faites comme vous l'entendez, ma chère. »
« Mother, will you, please, give me some bread ? » susurra Cropette dans le
silence.
Alors, madame mère, condescendante, lui offrit le croûton qu'il préférait.
Mlle Lion dut s'en aller comme une voleuse. Nous ne fûmes pas autorisés à
lui faire nos adieux. Mais le lendemain de son départ nous étions autorisés
à gratter les allées du parc.
« Au lieu de gaspiller vos forces en jeux stupides, vous vous amuserez
désormais d'une manière utile. Cropette ratissera. Frédie et Brasse‑Bouillon
gratteront. »
Cette corvée de désherbage devait durer des années. Elle nous devint
naturelle, mais, au début, nous vexa profondément.