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Les mains du joueur

Complément module 2 • Le joueur dans tous ses états

➜ Jusqu'au bout du jeu
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De l'enfant au joueur compulsif : qui est le joueur ?

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Texte

Une vieille femme raconte ses souvenirs. Au casino, elle observe les mains des joueurs. L'un d'eux retient son attention.

Je n'entendais plus rien, je ne sentais rien, je ne percevais pas les gens qui se pressaient autour de moi, ne remarquais pas les autres mains qui s'étiraient brusquement comme des antennes pour jeter de l'argent ou en engranger ; je ne voyais pas la boule ni n'entendais la voix du croupier, et pourtant je percevais tout ce qui se passait, comme en rêve, dans le miroir concave qui reflétait toute cette agitation amplifiée par la passion et la démesure. Car pour savoir si la boule tombait sur le rouge sur le noir, roulait ou s'arrêtait, je n'avais pas besoin de regarder la roulette : chaque phase, perte ou gain, espoir ou déception, imprimait sa trace de feu dans les nerfs et dans les traits de ce visage submergé par la passion.

Vint alors un moment effroyable – un moment que j'avais d'ailleurs redouté et confusément pendant tout ce temps, que mes nerfs tendus pressentaient comme un orage et qui soudain les foudroya. La boule était retombée dans l'alvéole avec son petit bruit de claquet ; survint alors la seconde où deux cents lèvres retinrent leur souffle jusqu'à ce que la voix du croupier annonce cette fois : zéro, tandis que déjà son râteau s'empressait de ramasser de tous côtés les pièces qui tintaient et les billets qui crissaient. En cet instant précis, les deux mains crispées firent un geste particulièrement effrayant, elles bondirent comme pour attraper quelque chose qui n'était pas là et retombèrent sur la table, bredouilles et comme terrassées par la pesanteur qui avait reflué en elles. Puis elles semblèrent soudain revenir à la vie, s'écartèrent fiévreusement du tapis et se mirent à courir sur le corps du jeune homme, y grimpant à tâtons comme des chats sauvages sur un tronc, fouillant en haut, en bas, à droite, à gauche, inspectant nerveusement toutes les poches pour y dénicher une pièce d'or qui d'aventure s'y serait éclipsée. Mais les mains revenaient vides de cette quête inutile et absurde qu'elles poursuivaient pourtant avec une fièvre croissante, tandis que le plateau de la roulette s'était remis à tourner, que le jeu des autres avait repris, que les pièces tintaient, que les sièges remuaient et que les mille petits bruits remplissaient la salle de leur rumeur. Je tremblais, secouée d'horreur : je ressentais toutes ces émotions comme s'il s'était agi de mes propres doigts qui fouillaient là désespérément les poches et les replis du vêtement froissé, à la recherche d'une dernière pièce de monnaie. Et soudain, d'un mouvement brusque, l'homme se redressa devant moi – exactement comme quelqu'un qui se lève d'un bond parce qu'il est pris d'un malaise subit et craint d'étouffer ; derrière lui, la chaise se renversa avec fracas. Mais sans même le remarquer, sans prêter attention à ses voisins qui, surpris et inquiets, s'écartaient pour faire place à cet homme chancelant, il s'éloigna de la table d'un pas lourd.

Je restai sans bouger, comme pétrifiée par ce spectacle. Car je compris aussitôt où cet homme allait : à la mort. Quelqu'un qui se levait de cette manière n'allait pas à l'hôtel ou au café, rejoindre une femme ou prendre un train, il ne regagnait pas un quelconque espace vital mais se précipitait dans l'abîme.
Stefan Zweig
Vingt‑quatre heures de la vie d'une femme, 1992.
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Stefan Zweig
(1881‑1942)

Placeholder pour Stefan ZweigStefan Zweig
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Écrivain autrichien, il est surtout connu pour ses nouvelles dans lesquelles il peint des passions parfois ravageuses.
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Questions
1. Comment pouvez‑vous qualifier l'état d'esprit du narrateur dans le premier paragraphe ? Justifiez votre réponse en étudiant les types de phrase et le lexique des sens.

2. Quel effet produit sur vous, lecteur, la description des mains du joueur ?

3. Que pouvez‑vous imaginer de la suite de l'histoire ? pourquoi ?
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