En ce temps-là, on mettait des photographies géantes de produits sur les
murs, les arrêts d'autobus, les maisons, le sol, les taxis, les camions, la
façade des immeubles en cours de ravalement, les meubles, les ascenseurs,
les distributeurs de billets, dans toutes les rues et même à la campagne. La
vie était alors envahie par des soutiens-gorges, des surgelés, des shampooings
antipelliculaires ou des rasoirs triple-lame. L'œil n'avait jamais été autant sollicité
de toute son histoire : on avait calculé qu'entre sa naissance et l'âge de
18 ans, toute personne était exposée en moyenne à 350 000 publicités. Même
à l'orée1 des forêts, au bout des petits villages, en bas des vallées isolées et au
sommet des montagnes blanches, sur les cabines de téléphérique, on devait
affronter des logos « Castorama », « Bricodécor », « Champion Midas » et « La
Halle aux Vêtements ». Jamais de repos pour le regard de l'homo consommatus.
Le silence aussi était en voie de disparition. On ne pouvait pas fuir les radios,
les télés allumées, les spots criards qui bientôt s'infiltreraient jusque dans
vos conversations téléphoniques privées. C'était un nouveau forfait proposé
par Bouygues Telecom : le téléphone gratuit en échange de coupures publicitaires
toutes les 100 secondes. [...]
Selon l'étude mentionnée plus haut, l'Occidental moyen était soumis à
4 000 messages commerciaux par jour. [...]
Il avait fallu deux mille ans pour en arriver là.