Je suis comme 
la licorne 1
En extase devant la jeune fille  
Dont elle ne détache pas ses regards.  
Elle éprouve un si doux malaise  
Qu'elle tombe sans connaissance en 
son giron 2.  
Alors on la met à mort par traîtrise.  
De même Amour et ma dame  
M'ont blessé à mort, en vérité :  
Ils ont mon coeur et je ne puis le reprendre.    
Dame, quand je fus devant vous  
Et que je vous vis pour la première fois,  
Mon cœur 
tressaillit 3 tant  
Qu'il vous resta à mon départ.  
Je fus alors emmené sans demande de rançon,  
Captif dans la douce prison  
Dont les piliers sont faits de désir,  
Les portes de beaux regards  
Et les anneaux de bon espoir.    
Amour a la clé de la prison  
Et il y a placé trois portiers.  
Le premier s'appelle 
Beau Semblant 4  
Et Amour a fait de Beauté leur maîtresse.  
Il a mis Danger devant la porte,  
Un vilain 5, affreux, traître, dégoûtant,  
Un gueux, un scélérat.  
Ces trois-là sont rusés et hardis,  
Ils se saisissent vite d'un homme.    
      
      
Qui pourrait supporter les mauvais traitements  
Et les assauts de ces portiers ?  
Jamais 
Roland ni Olivier 6  
Ne soutinrent si grandes batailles ;  
Ils vainquirent en combattant,  
Mais c'est en s'humiliant qu'on triomphe de ceux-là.  
Patience est le porte-bannière ;  
En ce combat dont je vous parle,  
Il n'y a d'autre salut qu'en la pitié.  
Dame, je ne redoute rien de plus  
Que d'être privé de votre amour.  
J'ai tant appris à 
supporter 7.
Que je suis à vous par habitude ;
Et dussiez-vous en être fâchée,
Je ne pourrais y renoncer en rien,
Sans en garder le souvenir,
Sans que mon coeur soit toujours
En prison, auprès de moi.
Dame, puisque je ne sais pas tromper,
Il serait temps d'avoir pitié de moi,
Accablé sous un si pesant fardeau.