Emmanuel Carrère écrit à Jean-Claude
Romand, alors en prison, pour lui faire part des difficultés
qu'il rencontre dans l'écriture du récit.
Paris, le 21 novembre 1996
Cher Jean-Claude Romand,
Il y a maintenant trois mois que j'ai commencé à écrire.
Mon problème n'est pas, comme je le pensais au début,
l'information. Il est de trouver ma place face à votre
histoire. En me mettant au travail, j'ai cru pouvoir
repousser ce problème en cousant bout à bout tout ce
que je savais et en m'efforçant de rester objectif. Mais
l'objectivité, dans une telle affaire, est un leurre. Il me
fallait un point de vue. Je suis allé voir votre ami Luc et
lui ai demandé de me raconter comment lui et les siens
ont vécu les jours suivant la découverte du drame. J'ai
essayé d'écrire cela, en m'identifiant à lui avec d'autant
moins de scrupules qu'il m'a dit ne pas vouloir apparaître
dans mon livre sous son vrai nom, mais j'ai bientôt
jugé impossible (techniquement et moralement, les
deux vont de pair) de me tenir à ce point de vue.