[Au XIX^e siècle] l'histoire du passé proche est devenue scientifiquement inférieure à l'histoire des autres périodes. L'histoire du passé proche était assimilée à du « journalisme cultivé » plutôt qu'à un travail de recherche scientifique. [...] L'institutionnalisation de la notion d'histoire du temps présent, avec la création en 1978 d'un laboratoire du CNRS spécialement destiné à travailler dans ce champ, a constitué un véritable « tournant épistémologique ». Couvrant une vaste sphère de recherche (de l'histoire culturelle aux relations internationales, en passant par les rapports de sexe) tant française qu'internationale [...] dans divers lieux et de nombreux domaines, l'histoire du temps présent a engendré une rupture avec les conceptions antérieures, et marqué une étape dans l'idée que les historiens se font de leur métier et de leur relation avec le temps. On assiste subséquemment à une revalorisation du rôle social de l'historien au sein de la Cité. [...] Dans le nouvel atelier de l'histoire ainsi créé, les outils de travail du chercheur reposent, entre autres, sur des « sources orales », témoins et témoignages, cinéma et vidéo. [...] À vrai dire, l'historien qui travaille sur le temps présent est davantage menacé par la surabondance que par la pénurie de sources. L'un des problèmes de l'histoire du temps présent réside, en effet, dans l'élaboration d'une méthodologie permettant d'exploiter la très grande diversité des sources disponibles et leur grande hétérogénéité. [...] Les historiens du temps présent ont importé de la sociologie, de l'anthropologie et d'autres sciences sociales la pratique de l'entretien, développant les méthodes de l'« histoire orale », ou plutôt une utilisation historienne de sources orales, méthodes fondées sur le récit de « témoins », récits spontanés ou sollicités, récits biographiques ou autobiographiques (les « récits de vie ») [...]. Tributaire d'enjeux contemporains, mettant en lumière des personnages vivants qui peuvent, légitimement ou non, aspirer à l'oubli, participant à sa manière d'une préoccupation récente pour la transparence, cette histoire peut paraître suspecte, et les historiens qui s'y adonnent se voir soupçonnés de partialité ou de manque d'objectivité. [...] L'historien du temps présent travaille sur « un passé qui n'est pas encore passé » d'après la formule d'Henry Rousso. Il se situe, délibérément, dans une tension entre l'éloignement – la plupart du temps, un spécialiste qui travaille sur la période de Vichy n'a pas connu directement les événements – et la proximité – cette période est suffisamment proche pour avoir laissé des traces vivantes et douloureuses dont il est obligé, dans son travail, de tenir compte.