Justine.
Je vais vous découvrir de tristes vérités :
Aussi bien, pour sa1
gloire il n'est plus temps de feindre.
À tout ce qu'elle a fait l'amour l'a su contraindre ;
Trasimond dans son cœur répandit ce poison,
Et chez elle l'amour devança la raison :
Elle ne put souffrir2
qu'une étoile cruelle
Eût forcé Trasimond d'aimer une autre qu'elle :
Elle vous découvrit son amour, ses desseins ;
Et, voyant quel danger il courait en vos mains3,
Par un de ces retours4
aux amants ordinaire,
Elle anima le peuple à ce qu'il vient de faire.
Elle crut que son cœur se rendrait aux bienfaits ;
Et ce prince a paru plus ingrat que jamais.
Je n'ai donc travaillé que pour une rivale,
Me dit-elle, et la paix à moi seule est fatale ?
Quoi donc ! Par mon crédit, par mon empressement,
Justine, dans ses bras j'aurai mis mon amant ?
Non : troublons les plaisirs que l'amour lui prépare,
Sur elle5
que ce fer me venge d'un barbare.
À ces mots, chez Eudoxe elle porte ses pas,
À dessein de punir ses criminels appas.
Dans ce fatal moment, aux pieds de la princesse,
Le prince Trasimond exprimait sa tendresse :
Le sort de sa rivale irrite sa douleur,
Elle lève le bras pour lui percer le cœur :
Eudoxe se dérobe au coup qui la menace.
Le prince avance et veut réprimer cette audace :
Le bras qu'elle a levé tombe, perce son sein,
Et trompe, en le perçant, un furieux dessein.
Des mains de Sophronie, on voit tomber les armes ;
Sa bouche est sans soupirs, et ses yeux sont sans larmes.
L'excès de sa douleur la rend sans mouvement :
Mais, voyant expirer son malheureux amant,
Elle pousse des cris, et sa main criminelle
Ramasse le poignard et le tourne contre elle :
Elle tombe, Seigneur, auprès de Trasimond ;
Son sang avec le sien s'écoule et se confond.
1. Justine parle ici de Sophronie.
2. Souffrir : supporter.
3. Sophronie a pris parti pour Trasimond dans une querelle l'opposant à son père,
Genséric.
4. Retours : renaissance du sentiment amoureux
5. Justine évoque ici Eudoxe,
la rivale de Sophronie.