En 1862, après avoir vécu trois ans en Chine, Mme de Bourboulon,
femme de l'ambassadeur de France, rentre en Europe par voie
terrestre. Pourtant affaiblie par une maladie, elle voyage pendant
quatre mois et traverse la Mongolie et la Russie. Voici ce
qu'elle écrit, dans son journal, à l'occasion d'une étape.
Dans cette nuit noire rendue plus noire encore par l'éclat
des torches qu'on portait çà et là, les chameaux poussaient
des cris et des gémissements lugubres, afin que les conducteurs
les délivrassent de leurs charges ; les chevaux effrayés
se cabraient et refusaient de se laisser dételer ni entraver1 ;
c'était un concert d'imprécations et de jurements2 dans toutes
les langues. [...]
Hier 24 mai, c'était la fête de la reine Victoria, et comme le
maître d'hôtel a pu mettre la main sur deux bouteilles de vin
de Champagne, nous avons bu à la santé de sa Majesté, avec le
ministre d'Angleterre et son secrétaire, M. Wade ; ensuite nous
avons fait un whist (car on avait trouvé des cartes). C'est sûrement
la première fois qu'on y joue dans les déserts de la Mongolie !
1. Dételer ni entraver : on ne peut ni les détacher des chariots ni les attacher pour
éviter qu'ils ne fuient pendant la nuit.
2. Imprécations et jurements : cris de colère et exclamations vulgaires.