Mes compagnons trouvent, dans une vallée, la maison de Circé aux
murs de pierres lisses, entourée de lions et de loups. Alors que mes
hommes s'approchent, loin de les attaquer, les animaux se lèvent et les
accueillent en les caressant de leurs longues queues. Ce sont des humains ensorcelés par la puissante déesse. [...] Mes compagnons entendent Circé
chantant d'une belle voix et tissant une grande toile, comme le sont les
ouvrages légers et brillants des déesses. Alors Politès, le meneur des
guerriers, prend la parole et dit :
« O amis, quelqu'un chante d'une belle voix dans cette demeure. Est-ce
une déesse ou une mortelle ? Allons ! Crions sans plus tarder. »
Il les persuade ainsi et ils appellent en criant. Circé sort aussitôt, puis,
ouvrant les belles portes, les invite à entrer. Tous mes compagnons la
suivent imprudemment. Seul Euryloque1 reste
dehors, ayant flairé un piège. Circé, ayant fait
entrer mes compagnons, les fait asseoir sur des
sièges et sur des trônes. Elle prépare une boisson, avec du vin de Pramnos, du fromage, de la
farine et du miel doux ; mais elle ajoute au
mélange une potion funeste. Elle leur apporte
la coupe et ils la boivent d'un seul trait. Ensuite,
elle les frappe d'une baguette et leurs corps se
transforment : ils ont la tête, la voix, le corps et
les soies2 du porc, mais leur esprit est le même
qu'auparavant. Elle les enferme alors dans la
porcherie où ils pleurent, ainsi ensorcelés. Circé
leur donne du gland de chêne et du fruit de
cornouiller3 à manger, pâture4 ordinaire des
porcs qui couchent sur le sol.
Euryloque revient au bateau pour avertir Ulysse. Celui-ci décide de se rendre chez Circé pour
tenter de sauver ses hommes. En chemin, Hermès, le messager des dieux, lui donne une herbe
qui le rendra insensible aux potions de Circé. Ulysse arrive chez la déesse.
Elle m'installe dans un fauteuil aux clous
d'argent et fait son mélange dans une
coupe d'or qu'elle me tend. Je la bois d'un
seul trait. Le charme reste pourtant sans
effet, même après qu'elle m'a frappé de sa
baguette. [...] Alors Circé s'écrie :
- Quel grand miracle ! Jamais, au grand
jamais, je n'avais vu un mortel résister à ce
charme. C'est donc toi qui serais l'Ulysse
aux mille tours ? [...]
Elle m'offra alors un repas somptueux
que je ne touche pas. La déesse s'interroge
de mon refus. Je lui réponds : « Si c'est de
bon cœur que tu m'offres ces mets, délivre
mes compagnons et montre-les moi. »
Alors Circé, sa baguette à la main,
traverse la grand-salle et va ouvrir la porcherie. Mes compagnons en sortent. Ils
se dressent debout, face à elle, et elle les
frotte, chacun, d'une nouvelle drogue : je
vois alors se détacher la peau de porc qui
les avait couverts. De nouveau, les voilà
redevenus des hommes, mais plus jeunes
et plus beaux. Quand ils me reconnaissent,
chacun me prend la main, et se met à
pleurer.
1. Compagnon d'Ulysse.
2. Poils.
3. Arbuste à baies colorées.
4. Nourriture.