Acte I, scène 5
SGANARELLE, VALÈRE, LUCAS
VALÈRE. – Monsieur, il ne faut pas trouver étrange que nous venions à
vous : les habiles gens sont toujours recherchés, et nous sommes instruits
de votre capacité.
SGANARELLE. – Il est vrai, Messieurs, que je suis le premier homme du
monde pour faire des fagots1.
VALÈRE. – Ah ! Monsieur...
SGANARELLE. – Je n'y épargne aucune chose2, et les fais d'une façon qu'il
n'y a rien à dire.
VALÈRE. – Monsieur, ce n'est pas cela dont il est question.
SGANARELLE. – Mais aussi je les vends cent dix sols le cent3.
VALÈRE. – Ne parlons point de cela, s'il vous plaît.
Sganarelle continue à vouloir leur vendre ses fagots. Lucas et Valère lui
demandant à plusieurs reprises de cesser de cacher qui il est.
VALÈRE. – Vous n'êtes point médecin ?
SGANARELLE. – Non.
LUCAS.– V'n'estes pas médecin ?
SGANARELLE. - Non, vous dis-je.
VALÈRE. – Puisque vous le voulez, il faut donc s'y résoudre4.
Ils prennent chacun un bâton, et le frappent.
SGANARELLE. – Ah ! ah ! ah ! Messieurs, je suis tout ce qu'il vous plaira.
VALÈRE. – Pourquoi, Monsieur, nous obligez-vous à cette violence ?
LUCAS. – À quoi bon nous bailler5 la peine de vous battre ?
VALÈRE. – Je vous assure que j'en ai tous les regrets du monde.
LUCAS. – Par ma figué6 ! j'en sis fâché, franchement.
SGANARELLE. – Que diable est ceci, Messieurs ? De grâce, est-ce pour
rire, ou si tous deux vous extravaguez7, de vouloir que je sois médecin ?
VALÈRE. – Quoi ? vous ne vous rendez pas encore, et vous vous défendez8 d'être médecin ?
SGANARELLE. – Diable emporte9 si je le suis !
LUCAS. – Il n'est pas vrai qu'ous sayez médecin ?
SGANARELLE. – Non, la peste m'étouffe ! (Là, ils recommencent à le
battre.) Ah ! ah ! Eh bien, Messieurs, oui, puisque vous le voulez, je suis médecin, je suis médecin, apothicaire10 encore, si vous le trouvez bon.
J'aime mieux consentir à tout que de me faire assommer.
VALÈRE. – Ah ! voilà qui va bien, Monsieur : je suis ravi de vous voir
raisonnable.
LUCAS. – Vous me boutez11 la joie au cœur, quand je vous vols parler
comme ça.
VALÈRE. – Je vous demande pardon de toute mon âme.
1. Paquets de petites
branches dont on se sert
pour faire du feu.
2. Je ne recule devant
aucune difficulté.
3. 110 sous le fagot de
100 branches.
4. Nous n'avons pas d'autre
choix (que de vous
battre).
5. Donner.
6. Par ma foi (juron).
7. Délirez.
8. Refusez d'avouer.
9. Que le diable m'emporte.
10. Personne qui prépare
et vend les médicaments.
11. Mettez.