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Partie 1 • Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
Partie 2 • La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle
Partie 3 • Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle
Partie 4 • La poésie du XIXe au XXIe siècle
Pour aller plus loin
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Chapitre 1.10
Texte 4

Vercors, Le Silence de la mer (1942)

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Texte

Le Silence de la mer Audio

Crédits : Lelivrescolaire.fr

Pendant l'Occupation, un officier allemand s'installe chez un homme français et sa nièce. L'officier est poli, cultivé, leur parle avec passion de son amour de la France et de son espoir de paix, mais ceux-ci refusent de lui adresser la parole, en signe de résistance. Lors d'une permission, l'officier allemand comprend les véritables intentions de son pays et annonce alors à ses hôtes qu'il va partir : il a décidé de s'engager pour le front de l'Est. Voici la fin de la nouvelle.

Son bras se leva vers l'Orient, – vers ces plaines immenses où le blé futur sera nourri de cadavres.

Je pensai1 : « Ainsi il se soumet. Voilà donc tout ce qu'ils savent faire. Ils se soumettent tous. Même cet homme-là. »

Le visage de ma nièce me fit peine. Il était d'une pâleur lunaire. Les lèvres, pareilles aux bords d'un vase d'opaline, étaient disjointes, elles esquissaient la moue tragique des masques grecs. Et je vis, à la limite du front et de la chevelure, non pas naître, mais jaillir, – oui, jaillir, – des perles de sueur.

Je ne sais si Werner von Ebrennac le vit. Ses pupilles, celles de la jeune fille, amarrées comme, dans le courant, la barque à l'anneau de la rive, semblaient l'être par un fil si tendu, si raide, qu'on n'eût pas osé passer un doigt entre leurs yeux. Ebrennac d'une main avait saisi le bouton de la porte. De l'autre, il tenait le chambranle. Sans bouger son regard d'une ligne, il tira lentement la porte à lui. Il dit, – sa voix était étrangement dénuée d'expression :

– Je vous souhaite une bonne nuit2.

Je crus qu'il allait fermer la porte et partir. Mais non. Il regardait ma nièce. Il la regardait. Il dit, – il murmura :

– Adieu.

Il ne bougea pas. Il restait tout à fait immobile, et dans son visage immobile et tendu, les yeux étaient plus encore immobiles et tendus, attachés aux yeux, – trop ouverts, trop pâles, – de ma nièce. Cela dura, dura, – combien de temps ? – dura jusqu'à ce qu'enfin, la jeune fille remuât les lèvres. Les yeux de Werner brillèrent.

J'entendis :

– Adieu.

Il fallait avoir guetté ce mot pour l'entendre, mais enfin je l'entendis. Von Ebrennac aussi l'entendit, et il se redressa, et son visage et tout son corps semblèrent s'assoupir comme après un bain reposant.

Et il sourit, de sorte que la dernière image que j'eus de lui fut une image souriante.
Et la porte se ferma et ses pas s'évanouirent au fond de la maison.

Il était parti quand, le lendemain, je descendis prendre ma tasse de lait matinale. Ma nièce avait préparé le déjeuner, comme chaque jour. Elle me servit en silence. Nous bûmes en silence. Dehors luisait au travers de la brume un pâle soleil. Il me sembla qu'il faisait très froid.
© Éditions Albin Michel.
1. L'oncle est le narrateur de la nouvelle.
2. C'est par cette phrase que l'officier allemand terminait, chaque soir, chacun de ses monologues.
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Éclairage

[La jeune fille] est évidemment pour l'auteur l'incarnation de ce qu'aurait dû être la France, digne et silencieuse. Ce qu'elle aurait dû être et ce qu'elle n'était pas. [S]on livre se voulait exemplaire : voilà comment, vous autres Français de 1941, vous devriez vous comporter.
Yves Beigbeder
postface de l'édition Le Livre de Poche, 2002.
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Questions

1. En quoi ce texte met-il en scène la difficulté et l'héroïsme de la Résistance ?

2.
Grammaire
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