Un train siffle et s'en va, bousculant l'air, les routes,
L'espace, la nuit bleue et l'odeur des chemins ;
Alors, ivre, hagard1, il tombera demain
Au cœur d'un beau pays en sifflant sous les voûtes.
Ah ! la claire arrivée au lever du matin !
Les gares, leur odeur de soleil et d'orange,
Tout ce qui, sur les quais, s'emmêle et se dérange,
Ce merveilleux effort d'instable et de lointain !
– Voir le bel univers, goûter l'Espagne ocreuse2,
Son tintement, sa rage et sa dévotion ;
Voir, riche de lumière et d'adoration,
Byzance consolée, inerte et bienheureuse.
Voir la Grèce debout au bleu de l'air salin,
Le Japon en vernis et la Perse en faïence,
L'Égypte au front bandé d'orgueil et de science,
Tunis, ronde, et flambant d'un blanc de kaolin3.
Voir la Chine buvant aux belles porcelaines.
L'Inde jaune, accroupie et fumant ses poisons,
La Suède d'argent avec ses deux saisons,
Le Maroc, en arceaux, sa mosquée et ses laines...
[...]
Il siffle, quel appel, vers quelle heureuse Asie !
Ah ! ce sifflet strident, crieur des beaux départs !
Moi aussi, m'en aller vers d'autres quelque part,
Ô maître de l'ardente et sourde frénésie !...
1. Dont le comportement traduit un état d'égarement, de désarroi.
2. De la couleur orangée de l'ocre.
3. Roche argileuse blanche.