L'enquête de terrain donne à voir ce que signifie concrètement d'avoir grandi dans une « cité » dans ces « années noires » : connaître tôt les privations matérielles et l'angoisse des lendemains (qui ne chantent plus), [...] avoir un horizon géographique qui s'est de plus en plus limité au quartier, assister à la plongée ou à la déchéance des frères aînés ou des voisins, éprouver le racisme et/ou diverses formes de discrimination.
C'est ce passé – ce que le sociologue appelle « socialisation » – qui, en se déposant et en se cristallisant dans le corps et la tête des jeunes, finit par constituer un handicap de départ considérable dans la compétition scolaire et dans la course à l'emploi stable

Les sourires que je voyais s'esquisser sur le visage de mes camarades, à l'évocation de nos séjours naturistes ou de nos tribulations en camping-car, m'apprenaient que tout le monde n'avait pas la même conception des loisirs, que les normes sont affaire de classe et que la rencontre des gens issus de milieux différents peut produire des frictions. À l'âge de douze ans, ce n'était pas une mince découverte. Bien avant de lire Veblen ou Bourdieu¹, j'ai su que les vacances peuvent être porteuses de stratégies de distinction et qu'il est impossible d'analyser séparément la catégorie socioprofessionnelle, le niveau de revenus, les goûts automobiles, les lieux de villégiature, le mode d'éducation des enfants et les attentes qu'on place en eux.