Il y a aussi une intégration des sondages dans les luttes sociales. Elle remonte aux grandes grèves de 1995 qualifiées de grèves par procuration. En cas de conflit de ce type, l'attitude de l'opinion publique à l'égard du mouvement social devient un enjeu au moins aussi important que le nombre des manifestants. Avec ce précédent où l'opinion a soutenu de bout en bout le mouvement social, la mise en avant par les dirigeants syndicaux des données d'opinion publiques devient fréquente. Par exemple dans la lutte contre la loi El Khomri menée en mai‑juin 2016, Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, précise aux journalistes : « Le mouvement dispose d'un soutien très large de l'opinion publique, plus de 60 % des Français sont pour le retrait ou la modification de ce texte et, ce qui devrait alerter plus encore le président de la République, chez les moins de 25 ans, le soutien
monte à 80 % ». Quand l'appui de l'opinion publique fait défaut, l'effet boomerang est considérable. Que reste‑t‑il alors aux syndicats ? Ainsi dans la réforme menée en 2018 sur le statut des cheminots, tous les sondages ont été négatifs pour le mouvement, ne lui apportant pas le soutien de l'opinion qui estimait en majorité constante que la grève n'était pas justifiée. En sens inverse, le récent mouvement des gilets jaunes définit un nouveau trépied de la contestation fondé sur une mobilisation via les réseaux sociaux, une diffusion à l'ensemble du pays via les chaînes d'information continue et, au‑delà des quelques dizaines de milliers de participants, une portée via les sondages liée au soutien fort et constant de l'opinion publique exerçant une véritable pression pour obliger le pouvoir à composer.