Monsieur ! dit Claude.
Le directeur s'arrêta et se détourna à demi.
– Monsieur, reprit Claude, est-ce que c'est vrai qu'on a changé Albin de quartier ?
– Oui, répondit le directeur.
– Monsieur, poursuivit Claude, j'ai besoin d'Albin pour vivre.
Il ajouta :
– Vous savez que je n'ai pas assez de quoi manger avec la ration de la maison, et qu'Albin partageait son pain avec moi.
– C'était son affaire, dit le directeur.
– Monsieur, est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de faire remettre Albin dans le même quartier que moi ?
– Impossible. Il y a décision prise.
– Par qui ?
– Par moi.
– Monsieur D., reprit Claude, c'est la vie ou la mort pour moi, et cela dépend de vous.
– Je ne reviens jamais sur mes décisions.
– Monsieur, est-ce que je vous ai fait quelque chose ?
– Rien.
– En ce cas, dit Claude, pourquoi me séparez-vous d'Albin ?
– Parce que, dit le directeur.
[Claude, rongé, par l'absence de son ami, insiste de nombreuses fois auprès du directeur : il est mis au cachot pour son « insolence ». À sa sortie, il retourne encore une fois voir le directeur.]
– Que fais-tu là, toi ? dit le directeur ; pourquoi n'es-tu pas à ta place ?
Car un homme n'est plus un homme là, c'est un chien, on le tutoie.
Claude Gueux répondit respectueusement :
– C'est que j'ai à vous parler, Monsieur le directeur.
– De quoi ?
– D'Albin.
– Encore ! dit le directeur.
– Toujours ! dit Claude.
– Ah çà, reprit le directeur continuant de marcher, tu n'as donc pas eu assez de vingt-quatre heures de cachot ?
Claude répondit en continuant de le suivre :
– Monsieur le directeur, rendez-moi mon camarade.
– Impossible.
– Monsieur le directeur, dit Claude avec une voix qui eût attendri le démon, je vous en supplie, remettez Albin avec moi, vous verrez comme je travaillerai bien. Vous qui êtes libre, cela vous est égal, vous ne savez pas ce que c'est qu'un ami ; mais, moi, je n'ai que les quatre murs de ma prison. [...] Moi je n'ai qu'Albin. Rendez-le-moi. [...]
– Impossible. C'est dit. Voyons, ne m'en reparle plus. Tu m'ennuies.
Et, comme il était pressé, il doubla le pas. Claude aussi. [...]
Claude toucha doucement le bras du directeur.
– Mais au moins que je sache pourquoi je suis condamné à mort1. Dites-moi pourquoi vous l'avez séparé de moi.
– Je te l'ai déjà dit, répondit le directeur, parce que.
Et, tournant le dos à Claude, il avança la main vers le loquet de la porte de sortie.
À la réponse du directeur, Claude avait reculé d'un pas. Les quatre-vingts statues qui étaient là virent sortir de son pantalon sa main droite avec la hache. Cette main se leva, et, avant que le directeur eût pu pousser un cri, trois coups de hache, chose affreuse à dire, assénés tous les trois dans la même entaille, lui avaient ouvert le crâne.
Par manque de nourriture.