Tu me connais, mon cher Zegri, je déteste l'injustice, et je ne puis
souffrir que l'on exige d'autrui ce qu'on ne voudrait pas faire soi-même :
je suis encore plus indigné quand on exige l'impossible, et voilà précisément comme l'on me traite. Mon maître ne m'a fait apprendre à lire
que pour m'insinuer par la lecture les préjugés de sa nation, mais il n'a
pas réussi, et j'ai vu avec indifférence ce qui ne devait pas m'intéresser.
Fâché que cette voie n'eût pas le succès qu'il en avait attendu, il a jugé à
propos d'interposer son autorité pour me conduire à son but.
« Zurac, me dit-il un jour, il faut te faire Chrétien comme moi, et je
te comblerai de bienfaits. » Ce zèle1
pour sa religion me rendit Dom Alphonse plus respectable, mais je ne crus pas devoir lui sacrifier la mienne, et je voulais aussi qu'il m'estimât par cette raison. Je ne parus donc point porté à lui obéir, et je ne m'informai pas même des articles de sa croyance. Là-dessus, il crut qu'il devait réitérer ses ordres, et il m'amena un de ses brahmanes2,
en me disant : « Voilà celui qui doit
t'instruire. Il faut, Zurac, embrasser la Foi. »
Sais-tu, cher Zegri, ce que c'est qu'embrasser la Foi ? C'est croire des
choses incroyables : par exemple, que trois ne font qu'un3,
que Dieu
est devenu un homme4,
que l'Immortel est mort5.
Voilà les premières
choses que me dit celui qui prétendait tyranniser ma pensée6,
mais je ne lui permis pas de poursuivre ce sombre projet, je l'interrompis pour lui demander s'il voudrait bien troquer7
sa religion contre la mienne.
Cette proposition le mit en fureur, et il me traita aussi mal que si je
l'avais insulté. Je ne pus m'empêcher de lui dire : « Tu n'es pas équitable, pourquoi veux-tu me faire mépriser le culte dans lequel mes pères m'ont
nourri, puisque tu dis que tu serais un infâme8
de renier9
ton Dieu ?
Tu cherches donc à me rendre méprisable en me faisant abandonner le
mien ? Je suis en droit de te rendre toutes les injures dont tu viens de
m'accabler. Mais je suis plus raisonnable que toi. J'estime ton zèle, je
sens seulement que tu ne le conduis pas bien, en exigeant de moi des
sacrifices que tu ne voudrais pas faire. Va, si tu m'attaques avec violence,
je te résisterai de même. Respecte mon courage et ne l'irrite point. Songe
que si mon corps est esclave, mon âme est indépendante [...].
dévouement.
prêtres hindous.
référence
à la trinité chrétienne, l'idée d'un Dieu unique en trois personnes : le Père, le
Fils et le Saint-Esprit.
référence à l'incarnation du Dieu
chrétien en Jésus-Christ.
référence à la mort de Jésus alors
qu'il représente le Dieu chrétien.
Métaphore pour parler de la conversion imposée.
personne indigne.