Puis s'adressant à Bougainville, il ajouta : « Et toi, chef des brigands qui t'obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature et tu as tenté d'effacer de nos âmes son caractère. Ici, tout est à tous et tu nous as prêché1
je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos
femmes nous sont communes, tu as partagé ce privilège avec nous et tu
es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles
dans tes bras, tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se
haïr, vous vous êtes égorgés pour elles, et elles nous sont revenues teintes
de votre sang. Nous sommes libres et voilà que tu as enfoui dans notre
terre le titre de notre futur esclavage. Tu n'es ni un dieu, ni un démon :
qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? Orou2 !
toi qui entends3
la langue
de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l'as dit à moi, ce qu'ils
ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays est à nous. Ce pays est à toi !
Et pourquoi ? Parce que tu y as mis le pied ? [...] Tu es le plus fort ! Et
qu'est-ce que cela fait ? Lorsqu'on t'a enlevé une des méprisables bagatelles4
dont ton bâtiment est rempli, tu t'es récrié, tu t'es vengé ; et dans
le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une
contrée ! Tu n'es pas esclave, tu souffrirais la mort plutôt que de l'être, et
tu veux nous asservir ! Tu crois donc que le Tahitien ne sait pas défendre
sa liberté et mourir ? Celui dont tu veux t'emparer comme de la brute,
le Tahitien, est ton frère. Vous êtes deux enfants de la nature, quel droit
as-tu sur lui qu'il n'ait pas sur toi ? Tu es venu, nous sommes-nous jetés
sur ta personne ? Avons-nous pillé ton vaisseau ? T'avons-nous saisi
et exposé aux flèches de nos ennemis ? T'avons-nous associé dans nos
champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en
toi. Laisse-nous nos mœurs, elles sont plus sages et plus honnêtes que
les tiennes. Nous ne voulons point troquer5
ce que tu appelles notre
ignorance contre tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est nécessaire et
bon, nous le possédons. Sommes-nous dignes de mépris parce que nous
n'avons pas su nous faire des besoins superflus6 ?
soutenu.
Orou est un Tahitien.
comprends.
choses sans importance.
échanger.
inutiles.