Il faut avoir des passions1
pour être heureux ; mais il faut les faire servir à notre bonheur, et il y en a auxquelles il faut
défendre toute entrée dans notre âme.
Je ne parle pas des passions qui sont des
vices2,
telles que la haine, la vengeance, la
colère. L'ambition, par exemple, est une
passion dont je crois qu'il faut défendre
son âme, si on veut être heureux. Ce n'est
pas pour la raison qu'elle n'a point de
jouissances, car je crois que cette passion
peut en fournir. Ce n'est pas parce que
l'ambition désire toujours, car c'est assurément
un grand bien. Mais c'est parce
que de toutes les passions, c'est celle qui
met le plus notre bonheur dans la dépendance des autres : or, moins
notre bonheur est dans la dépendance des autres, et plus il nous est aisé d'être
heureux. Ne craignons pas de faire trop de retranchements3
sur cela : il
en dépendra toujours assez. Par cette raison d'indépendance, l'amour de
l'étude est de toutes les passions celle qui contribue le plus à notre bonheur.
Dans l'amour de l'étude se trouve enfermée une passion dont une
âme élevée n'est jamais entièrement exempte4,
celle de la gloire. Il n'y a
même que cette manière d'en acquérir pour la moitié du monde, et c'est cette moitié justement à qui l'éducation en ôte les moyens, et en rend
le goût impossible. Il est certain que l'amour de l'étude est bien moins
nécessaire au bonheur des hommes qu'à celui des femmes. Les hommes
ont une infinité de ressources qui manquent entièrement aux femmes.
Ils ont bien d'autres moyens d'arriver à la gloire, et il est sûr que l'ambition
de rendre ses talents utiles à son pays et de servir ses concitoyens,
soit par son habileté dans l'art de la guerre, ou par ses talents pour le
gouvernement ou les négociations, est fort au-dessus de celle qu'on peut
se proposer par l'étude. Mais les femmes sont exclues par leur état de
toute espèce de gloire. Et quand par hasard il s'en trouve quelqu'une
née avec une âme assez élevée, il ne lui reste que l'étude pour la consoler
de toutes les exclusions et de toutes les dépendances auxquelles elle se
trouve condamnée par état5.
centres d'intérêt.
défauts graves.
suppressions.
dépourvue.