« Une telle merveille »

Après un cataclysme, la Terre est revenue à l'état sauvage. Les hommes vivent en nomades, dorment sous des tentes et chassent. Ils ont oublié le monde d'autrefois. Un enfant, accompagné de son ours apprivoisé, découvre les ruines d'une ancienne ville.

Le soleil du matin sur son visage l'éveilla. Il tourna la tête vers le nord et eut un choc…
Haute, sur l'horizon des montagnes lointaines, Niourk se dressait dans le ciel. De prodigieux entablements¹ d'édifices métalliques, en forme de T ou de H géants, reflétaient la rougeur de l'aube. Une ville de cuivre en fusion dépassait des nuages, dominait de très haut la vallée du fleuve Huds.
Celui-ci naissait sous la forme d'une magnifique chute en forme de queue de cheval qui s'incurvait² gracieusement au-dessus de trois cents coudées³ de roc abrupt, socle monumental de Niourk.
L'enfant entraîna l'ours vers l'apparition de rêve. Les dieux de Niourk devaient être de bien grands dieux pour avoir bâti une telle merveille. À mesure qu'il s'approchait, l'enfant s'étonnait de la hauteur et de l'élégance de lignes des constructions. La plupart des édifices, aux toits plats réunis par des ponts, offraient la forme de T ou de croix géantes : un certain nombre, hélicoïdaux⁴, semblaient de grandes vis plantées dans les nuages.
Mais la taille de la ville la faisait paraître plus proche qu'elle était. Il dut marcher presque tout le jour pour atteindre la chute de l'Huds. Il renonça à l'escalade de la falaise car la nuit allait tomber bientôt. Il s'installa au pied de la montagne et s'endormit, bercé par la chanson puissante de l'eau sur les rocs.
Il s'éveilla bien avant l'aube suivante, se nourrit rapidement de viande séchée et commença l'escalade dès qu'il fit assez clair pour grimper sans danger. L'ours le suivit aveuglément sur une rampe naturelle qui menait presque à la tête de la falaise.
Il s'arrêtait de temps en temps pour souffler et contemplait sous lui les méandres du fleuve Huds se perdant à travers la jungle.
Enfin, vers le milieu du jour, il déboucha dans l'ancien port et tomba à genoux, subissant le plus grand choc esthétique de sa vie.
Au milieu du port qui n'était plus qu'un terrain vague à l'herbe grise tachée de plaques de neige et sillonné par plusieurs minces ruisseaux, au milieu de cet espace triste se dressait une immense statue de femme.
Nue et libre, sous le regard mort de centaines d'immeubles géants paraissant monter la garde autour d'elle, cette femme superbe, un bras au ciel, brandissait un miroir conçu pour refléter le soleil à toute heure de la journée. L'enfant en fut ébloui et s'effondra en avant en murmurant « la déesse ». [...]
Pataugeant pieds nus dans la boue neigeuse, il arriva jusqu'au socle et grimpa jusqu'aux pieds de la statue. Il toucha du doigt un orteil dix fois gros comme lui et resta songeur : l'orteil était fendu et la fente laissait croître un jeune pin rabougri⁵. D'autres détails dissipèrent de son esprit les brumes d'une enfance bourrée de superstitions.