Le feuilleton. August s'y mit à contrecoeur. L'angoisse de la page
blanche, le manque d'inspiration. Il expérimenta, en quelques jours,
toutes les nuances du lexique défraîchi où logeait une réalité plus
prosaïque : August assis à la table du salon, fumant cigarette sur cigarette,
se rongeant les ongles et les cuticules, agité, nerveux et irritable,
insomniaque la nuit, somnolant le jour dès qu'il s'asseyait à la table
pour écrire. Il renonçait puis recommençait, pas parce qu'il tenait à son
histoire, mais à cause de la commande du rédacteur en chef, qui prenait
des allures d'ultimatum. Il n'avait pas le choix ou, si l'on préfère, devait
choisir entre le feuilleton, un poste au Tänapäev, bureau chauffé, bon
salaire, déjeuner gratuit, et le retour à la caisse du cinéma, un emploi de
portier à l'hôtel Reval ou de contrôleur de billets à la gare.