La Belle-Mère. – Je suis venue pour vous dire que vous n'étiez pas seul
à éprouver ce que vous éprouvez.
Le Très Jeune Prince. – Ah bon ?
La Belle-Mère. – Tout d'abord je n'ai pas bien pris la mesure de ce qui
s'est passé entre nous lors de notre toute première rencontre.
Le Très Jeune Prince. – Ah bon ?
La Belle-Mère. – Non... Tout ça est arrivé si vite... Jamais je n'aurais pu
imaginer revivre un jour une histoire comme celle-là... Aussi beau qu'un
conte... ou un rêve... non... On se connaît si peu... Vous ne dites rien ?
Le Très Jeune Prince. – ...
La Belle-Mère. – Mais non ! Non non, ne dites rien... Je n'ai pas besoin
que vous me parliez. Il me suffit de savoir ce que je sais.
Le Très Jeune Prince. – Ah bon ?
La Belle-Mère. – À vrai dire, tout ça me fait très peur à moi aussi.
Le Très Jeune Prince. – Ah bon ?
La Belle-Mère. – J'y ai beaucoup réfléchi vous savez mais je n'arrive pas
à renoncer... J'ai envie de vivre pleinement ce qui nous arrive... Je ne sais
pas ce que vous en pensez, vous ?
Le Très Jeune Prince (l'air sidéré). – ...
La Belle-Mère. – Non non non, ne dites rien, vous avez raison...
Pas tout de suite. (Un temps. Délicatement.) Mon amour... Vous paraissez si
fragile... Et je me sens si fragile moi aussi... quand je suis près de vous...
Vous tremblez on dirait... (Le très jeune prince veut parler, la belle-mère le
coupe.) Oui taisez-vous... Non ne parlez pas, après tout... C'est mieux
ainsi... Je sais que bientôt nous serons confrontés à de gigantesques difficultés. Je sais que bientôt nous serons confrontés aux préjugés.
Je vous demande : peut-être devrions-nous garder secrets nos sentiments
pour quelque temps encore ? Qu'en pensez-vous ? (Le très jeune prince veut
répondre, la belle-mère le coupe.) Non, ne vous pressez pas pour répondre...
Excusez-moi, je vous bouscule... Vous tremblez... C'est si beau, vous
êtes si beau, et ça fait si peur de se retrouver là, comme ça, tous les
deux... Si vous saviez mon amour, comme je me sens différente des
autres femmes, comme je m'ennuie avec les autres hommes... Quand je
vous vois si jeune et si fragile, je me sens si proche de vous... Je me sens
comme un reflet de vous-même... Comme une autre moitié d'un fruit.
Ce soir, je me sens moi-même comme une enfant... Vous tremblez de
plus en plus. Un temps.
Le Très Jeune Prince (assez bas). – Vous me faites peur.
La Belle-Mère. – Comment ?
Le Très Jeune Prince. – Vous me faites peur.
La Belle-Mère. – Comment ça je vous fais peur ?