Dans ce roman de chevalerie de Chrétien de Troyes
(XIIe siècle), Yvain, un preux chevalier, quitte la cour du roi Arthur
en quête d'exploits. Lors de son périple, il tombe amoureux
de Laudine, à qui il promet de revenir au bout d'un an, après
avoir montré sa bravoure lors de tournois. Il ne peut tenir sa
promesse et apprend par une messagère que Laudine le rejette.
Fou de tristesse, il s'isole dans la forêt.
Il marche tant qu'il s'éloigne des tentes et des pavillons. Un
étourdissement si violent lui monte alors à la tête qu'il en perd
la raison. Il lacère et déchire ses vêtements, puis s'enfuit par
les champs et les labours, laissant ses gens désemparés, se
demandant, affolés, où il peut être. Ils le cherchent de droite
et de gauche dans les logis des chevaliers, dans les bosquets
et les vergers, mais ils le cherchent où il n'est pas. Et lui,
s'éloignant rapidement, finit par trouver près d'un enclos un
valet muni d'un arc et de cinq flèches barbelées, très larges et
très tranchantes. Yvain s'approche de lui, résolu à lui arracher
le petit arc et les flèches qu'il tient. Il ne se souvient pourtant
plus de rien qu'il ait fait jadis. Il guette les bêtes dans les bois,
les tue et mange la venaison1
toute crue.
Il demeura si longtemps dans la forêt, en homme sauvage
privé de raison, qu'il découvrit la toute petite maisonnette d'un
ermite2
occupé à défricher. À la vue de cet homme nu, l'ermite
comprit, sans l'ombre d'un doute, qu'il n'avait pas tous ses
esprits. C'était un fou, il en fut entièrement convaincu. Sous le
coup de la peur, il se précipita dans sa maisonnette.
1. Venaison : viande de gibier.
2. Ermite : religieux qui vit à l'écart des hommes.