Ce phénomène communément appelé l'« ubérisation » consiste en la mise en relation, par des plates‑formes numériques, de clients avec des travailleurs qui nourrissent ces plates‑formes de leur force de travail : chauffeurs privés, livreurs de repas à vélo, chargeurs de trottinettes électriques, etc. Cette « économie de plates-formes » a souvent recours à des autoentrepreneurs : des travailleurs qui ne sont pas salariés et n'ont donc pas de contrat de travail.
Derrière le discours de ces plates-formes – c'est « le monde de demain », tout le monde est gagnant (le « win-win ») –, la réalité s'apparente bien souvent à une régression sociale, un retour au monde d'avant. […] Les travailleurs ubérisés sont en quelque sorte les prolétaires du XXIe siècle.
Pour certains, mieux vaut être livreur à vélo que chômeur. En effet. Mais alors pourquoi pas aussi cireur de chaussures dans la rue ou travailleur à la tâche ? Il y a, en France, quelque chose qui s'appelle le progrès social et qui, au prix de deux siècles de luttes, garantit à chacun un minimum de protections. La loi travail de 2016 a apporté des avancées pour davantage protéger les travailleurs indépendants, en permettant qu'ils s'organisent collectivement ou en introduisant une responsabilité sociale des plates‑formes en cas d'accident du travail […].
Enfin, et il y a tout lieu de s'en réjouir, on commence à […] réguler [ces plate-formes]. Récemment, plusieurs décisions de justice ont donné gain de cause aux travailleurs indépendants. Ces décisions bousculent leur modèle économique, qui repose sur un coût du travail le plus faible possible pour davantage valoriser l'entreprise. Cela ne laisse pas augurer la fin de l'ubérisation, mais du moins les plates-formes les plus prédatrices vont‑elles devoir s'adapter.