Inscription sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes
Socrate n’a rien écrit. Celui que la tradition reconnaît
comme le premier philosophe de l’histoire
occidentale ne prétendait qu’à une seule certitude :
« je sais que je ne sais rien ». Cette ignorance, feinte
ou sincère, ouvre la possibilité d’un savoir. En effet,
ne pas avoir conscience de son ignorance revient
à faire de ses opinions des certitudes : celles‑ci
constituent un obstacle à la construction d’une
connaissance. Au contraire, connaître son ignorance
permet de débuter un chemin vers le savoir.
La première étape de ce cheminement est la
conscience de soi et du monde. Socrate fait ainsi
sienne la devise inscrite sur le fronton du temple
de Delphes : « connais‑toi toi‑même ». Toutefois, il
en donne une interprétation philosophique et non
religieuse : il s’agit de prendre soin de son âme
pendant le temps de l’existence.
Pour soigner son âme, il faut la conduire avec raison
vers la vérité. Ce sera le programme de la philosophie
socratique et, au-delà, d’une grande part de la
philosophie occidentale. Pourtant, les « philosophes
du soupçon » mettront en doute cette toute‑puissance
de la conscience et de la raison : l’être humain
ne reste‑t‑il pas toujours étranger à lui‑même, ne
serait‑ce qu’en partie ? N’y a‑t‑il pas toujours en lui
une part d’inconnu, une part d’inconscient ?
Pascal nous propose une définition paradoxale de
l’homme : ce dernier est un « roseau pensant ».
Cette définition est une invitation à penser, mais
aussi une affirmation de nos limites. Notre noblesse
est de comprendre notre condition humaine, elle
qui n’est que fragilité à l’échelle de l’univers. Ainsi,
l’homme misérable trouve sa grandeur dans la
conscience de sa pensée : telle est sa dignité.
Qu’est‑ce que l’homme ?
Fragments 348 et 416.
L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il
ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit
pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui
le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien.
Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non
de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser :
voilà le principe de la morale.
Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais du règlement de ma pensée.
Je n’aurai pas davantage en possédant des terres : par l’espace, l’univers me comprend et
m’engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends.
A P. R. Grandeur et misère.
La misère se concluant de la grandeur et la grandeur de la misère, les uns ont conclu la
misère d’autant plus qu’ils en ont pris pour preuve la grandeur et les autres concluant la grandeur avec d’autant plus de force qu’ils l’ont conclue de la misère même, tout ce que les uns
ont pu dire pour montrer la grandeur n’a servi que d’un argument aux autres pour conclure
la misère, puisque c’est être d’autant plus misérable qu’on est tombé de plus haut ; et les
autres, au contraire. Ils se sont portés les uns sur les autres par un cercle sans fin, étant certain
qu’à mesure que les hommes ont de lumière ils trouvent et grandeur et misère en l’homme.
En un mot l’homme connaît qu’il est misérable. Il est donc misérable, puisqu’il l’est. Mais
il est bien grand, puisqu’il le connaît.
Fragment 365.
Pensée.
Toute la dignité de l’homme est en la pensée. Mais qu’est‑ce que cette pensée ? Qu’elle
est sotte. La pensée est donc une chose admirable et
incomparable par sa nature. Il fallait qu’elle eût
d’étranges défauts pour être méprisable, mais
elle en a de tels que rien n’est plus ridicule.
Qu’elle est grande par sa nature, qu’elle est
basse par ses défauts.
Fragment 348.
Roseau pensant.
Ce n’est point de l’espace que je dois
chercher ma dignité, mais c’est du règlement
de ma pensée. Je n’aurai point
d’avantage en possédant des terres. Par
l’espace l’univers me comprend et m’engloutit
comme un point, par la pensée je
le comprends.
Blaise Pascal, Pensées, 1669,
trad. L. Brunschvicg.
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