C'est le passage de la pierre au bronze qui lui permit de réaliser par son travail la conquête du sol et de se conquérir lui‑même. L'agriculteur est soumis aux hasards de la terre, des germinations, des saisons, il est passif, il conjure et il attend : c'est pourquoi les esprits totémiques peuplaient le monde humain ; le paysan subissait les caprices de ces puissances qui l'investissaient. L'ouvrier au contraire modèle l'outil selon son dessein ; il lui impose avec ses mains la figure de son projet ; en face de la nature inertea, qui lui résiste mais qu'il vainc, il s'affirme comme volonté souveraine ; qu'il précipite ses coups sur l'enclume, il précipite l'achèvement de l'outil : […] son succès ne dépend pas de la faveur des dieux mais de lui-même ; il défie ses compagnons, il s'enorgueillit de ses réussites ; et s'il fait encore quelque place aux rites, des techniques exactes lui semblent bien plus importantes ; les valeurs mystiques passent au second plan et les intérêts pratiques au premier ; il ne s'affranchit pas entièrement des dieux : mais il les sépare de lui en se séparant d'eux ; […] quand retentit le premier coup de marteau et le règne de l'homme s'ouvre. Il apprend son pouvoir.
Dans le rapport de son bras créateur à l'objet fabriqué il expérimente la causalité : le grain semé germe ou ne germe pas tandis que le métal réagit toujours de la même manière au feu, à la trempe, à l'action mécanique ; ce monde d'ustensiles se laisse enfermer dans des concepts clairs : la pensée rationnelle, la logique et les mathématiques peuvent alors apparaître. Toute la figure de l'univers est bouleversée. La religion de la femme était liée au règne de l'agriculture, règne de la durée irréductible, de la contingence, du hasard, de l'attente, du mystèreb ; celui de l'homo faber, c'est le règne du temps qu'on peut vaincre comme l'espace, de la nécessité, du projet, de l'action, de la raisonc.