Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement
dans ce que j'appelle moi, je bute toujours sur une
perception particulière ou sur une autre, de chaud
ou de froid, de lumière ou d'ombre, d'amour ou de
haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais me
saisir, moi, en aucun moment sans une perception et
je ne peux rien observer que la perception. Quand mes
perceptions sont écartées pour un temps, comme par
un sommeil tranquille, aussi longtemps je n'ai plus
conscience de moi et on peut dire vraiment que je
n'existe pas. Si toutes mes perceptions étaient supprimées
par la mort et que je ne puisse ni penser, ni sentir, ni voir, ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon
corps, je serais entièrement annihilé et je ne conçois pas
ce qu'il faudrait de plus pour faire de moi un parfait
néant. Si quelqu'un pense, après une réflexion sérieuse
et impartiale, qu'il a, de lui-même, une connaissance
différente, il me faut l'avouer, je ne peux raisonner plus
longtemps avec lui. Tout ce que je peux lui accorder,
c'est qu'il peut être dans le vrai aussi bien que moi et
que nous différons essentiellement sur ce point. Peutêtre
peut‑il percevoir quelque chose de simple et de
continu qu'il appelle lui : et pourtant je suis sûr qu'il
n'y a pas en moi de pareil principe.