La conscience est-elle une donnée ou un processus ?
Texte 1
« Je » est une chose pensante
Descartes défend l'idée que l'être humain a une âme, qu'il qualifie de « chose qui pense ». L'âme
nous étant donnée et sa caractéristique étant la pensée, la conscience est un fait humain. Ces
pensées seraient toujours présentes en nous, même si nous dormons ou si nous les oublions.
[I]l me serait plus aisé de croire que l'âme cesserait d'exister, quand on dit qu'elle
cesse de penser, que non pas de concevoir, qu'elle fût sans pensée. Et je ne vois ici
aucune difficulté, sinon qu'on juge superflu de croire qu'elle pense, lorsqu'il ne
nous en demeure aucun souvenir par après. Mais si on considère que nous avons
toutes les nuits mille penséesa, et même en veillant que nous en avons eu mille
depuis une heure, dont il ne nous reste plus aucune trace en la mémoire, et dont
nous ne voyons pas mieux l'utilité, que de celles que nous pouvons avoir eues avant
que de naître, on aura bien moins de peine à se le persuader qu'à juger qu'une
substance dont la nature est de penser, puisse exister, et toutefois ne penser point.
Je ne vois aussi aucune difficulté à entendre que les facultés d'imaginer et de sentir
appartiennent à l'âme, à cause que ce sont des espèces de pensées ; et néanmoins
n'appartiennent qu'à l'âme en tant qu'elle est jointe au corps, à cause que ce sont des
sortes de pensées, sans lesquelles on peut concevoir l'âme toute pureb. Pour ce qui est
des animaux, nous remarquons bien en eux des mouvements semblables à ceux qui
suivent de nos imaginations ou sentiments, mais non pas pour cela des imaginations
ou sentiments. Et, au contraire, ces mêmes mouvements se pouvant aussi faire sans
imagination, nous avons des raisons qui prouvent qu'ils se font ainsi en eux.
René Descartes
Lettre au père Gibieuf, 1642.
Aide à la lecture
a. L'auteur fait notamment référence
aux rêves lorsque nous dormons.
b. Selon Descartes, le corps et l'âme
sont des substances différentes mais
non disjointes. Ainsi, nos émotions,
les « passions de l'âme », relèvent du
corps et de l'âme.
Un homme peut-il exister dès lors qu'il cesse d'avoir des pensées ?
Texte 2
Notre conscience unifie
nos représentations
Texte fondateur
La conscience est « une synthèse des représentations », c'est‑à‑dire une façon de réunir tout ce
que ressent et pense le Moi. Kant décrit ici l'apparition de cette conscience.
Une chose qui élève infiniment l'homme au‑dessus de toutes les autres créatures
qui vivent sur la terre, c'est d'être capable d'avoir la notion de lui‑même,
du moi. C'est par là qu'il devient une personne ; et, grâce à l'unité de conscience
qui persiste à travers tous les changements auxquels il est sujet, il est une seule et
même personne. […]
Mais il est à remarquer que l'enfant, lorsqu'il peut déjà s'exprimer passablement, ne commence cependant à parler à la première personne, ou par moi, qu'assez
longtemps après (une année environ). Jusque‑là, il parle de lui à la troisième
personne (Charles veut manger, marcher, etc.). Lorsqu'il commence à dire moi,
une lumière nouvelle semble en quelque sorte l'éclairer ; dès ce moment, il ne
retombe plus dans sa première manière de s'exprimer. – Auparavant, il se sentait
simplement ; maintenant, il se pense.
Emmanuel Kant
Anthropologie d'un point de vue pragmatique, 1798, trad. J. Tissot.
Le test du miroir sert à évaluer la perception que nous avons de nous-mêmes. La plupart des animaux
n'identifient pas leur reflet comme étant le leur et le fuient ou l'attaquent, mais certains – comme
l'orang-outan, la pie ou la baleine – se reconnaissent. Ainsi, l'enfant met du temps à se reconnaître
dans le miroir. Le stade du miroir désigne cette phase durant laquelle l'enfant va progressivement
développer la capacité à unifier le sentiment qu'il a des différentes parties de son corps et l'image
corporelle qu'il se fait de lui-même, la représentation de son corps. Alors que, selon Descartes, la
conscience serait donnée en même temps que notre âme et agirait toujours, Kant propose un autre
point de vue : être conscient demanderait un effort qui consisterait à faire un retour sur nous-mêmes.
Le zoom est accessible dans la version Premium.
Crédits : Everett Collection/Bridgeman
Texte 3
Notre conscience est une réalité double
La conscience est le siège d'un paradoxe : elle introduit un écart entre le Moi qui regarde et le
Moi regardé. Je suis à la fois le processus de prise de conscience et la donnée observée.
La conscience est un dialogue sans interlocuteur, un dialogue à voix basse, qui
est en vérité un monologue. Et quel nom donner en effet à ce double qui partout
me tient compagnie, me suivant ou me précédant, et pourtant me laisse seul avec
moi-même ? Quel nom donner à celui qui est ensemble moi‑même et un autre,
et qui n'est pourtant pas l'alter ego, l'allos autos aristotélicien1 ? Qui est toujours
présent, partout absent, omniprésent, omniabsent. Car le moi n'échappe jamais
à ce tête‑à‑tête avec soi… Cet objet‑sujet qui me regarde de son regard absent, on
ne peut l'appeler que d'un nom à la fois intime et impersonnel : la « Conscience ».
1. Alter ego, allos autos : l'autre « je ». Désigne habituellement l'ami. Ici, il désigne cette relation étrange
à nous‑même : dans la réflexion, c'est soi‑même qu'on regarde comme si c'était un autre.
En quoi la conscience peut-elle être qualifiée de dialogue sans interlocuteur ?
Activité
1. Le texte 1, le texte 2 et le texte 3 permettent d'envisager deux « natures » de la conscience : soit elle est réfléchie et élaborée, soit elle
est immédiate et constante. Faites le bilan des arguments pour ces deux thèses.
2. Proposez un paragraphe de synthèse pour tenter de dépasser le paradoxe.
Texte 4
Notre conscience s'acquiert par l'activité
Hegel refuse l'idée que la conscience ne provient que de la réflexion : les actes qui laissent des
marques dans le monde nous permettent de reconnaître que nous sommes conscients. Notre
conscience doit donc s'objectiver, c'est‑à‑dire s'incarner dans le monde.
Les choses naturelles ne sont qu'immédiatement et pour ainsi dire en un seul
exemplaire, mais l'homme, en tant qu'esprit, se redouble, car d'abord il est au
même titre que les choses naturelles sont, mais ensuite, et tout aussi bien, il est
pour soi, se contemple, se représente lui-même, pense et n'est esprit que par cet
être‑pour‑soi actif.a
L'homme obtient cette conscience de soi-même de deux manières différentes :
premièrement de manière théorique, dans la mesure où il est nécessairement
amené à se rendre intérieurement conscient à lui-mêmeb, où il lui faut contempler
et se représenter ce qui s'agite dans la poitrine humaine, ce qui s'active en elle et
la travaille souterrainement, se contempler et se représenter lui‑même de façon
générale, fixer à son usage ce que la pensée trouve comme étant l'essencec, et ne
connaître, tant dans ce qu'il a suscité à partir de soi-même que dans ce qu'il a reçu
du dehors, que soi‑même.
Deuxièmement, l'homme devient pour soi par son activité pratique, dès lors
qu'il est instinctivement porté à se produire lui-même au jour tout comme à se
reconnaître lui-même dans ce qui lui est donné immédiatement et s'offre à lui
extérieurement.d Il accomplit cette fin en transformant les choses extérieures, auxquelles
il appose le sceau de son intériorité et dans lesquelles il retrouve dès lors
ses propres déterminations. L'homme agit ainsi pour enlever, en tant que sujet
libre, son âpre étrangeté au monde extérieur et ne jouir dans la figure des choses
que d'une réalité extérieure de soi‑même. La première pulsion de l'enfant porte
déjà en elle cette transformation pratique des choses extérieures ; le petit garçon
qui jette des cailloux dans la rivière et regarde les ronds formés à la surface de l'eau
admire en eux une oeuvre, qui lui donne à voir ce qui est sien.
Ce besoin passe par les manifestations les plus variées et les figures les plus
diverses avant d'aboutir à ce mode de production de soi‑même dans les choses
extérieures tel qu'il se manifeste dans l'œuvre d'art. Or l'homme ne procède pas
seulement ainsi avec les objets extérieurs, mais tout autant avec lui‑même, avec
sa propre figure naturelle qu'il ne laisse pas subsister en l'état, mais qu'il modifie
intentionnellement. C'est là qu'ont leur origine tous les fards et autres ornements
corporels.
a. Hegel distingue deux types de réalités : celles qui sont sans conscience
réflexive (caillou, animaux, etc.) et
celles qui en sont dotées.
b. L'approche théorique consiste à considérer
le phénomène du point de vue
du raisonnement, de la connaissance. c. L'essence désigne l'ensemble des
propriétés qui définissent et caractérisent
une chose. d. L'activité désigne autant le processus
de production des objets dans
le travail ou l'art que l'ensemble de
nos actions qui s'inscrivent dans le
monde.
b. Qu'une conscience se
reconnaît dans le résultat
de ses actions
c. Qu'une conscience se
connaît immédiatement
Question
La pratique artistique peut-elle permettre de prendre conscience de soi ?
Distinction
« Être‑en‑soi » et « Être‑pour‑soi »
L'être‑en‑soi désigne la façon d'exister des choses de la
nature qui ne peuvent avoir aucune distance avec ellesmêmes,
qui ne peuvent donc pas réfléchir et s'observer.
Les choses peuvent tout au plus percevoir leur environnement ; elles sont telles qu'elles apparaissent.
L'être‑pour‑soi, c'est la façon d'exister des individus
conscients qui peuvent observer, par réflexion, comment
ils sont, comment ils apparaissent et ce qu'ils font. Ces
individus décident eux‑mêmes de leur devenir.
Le zoom est accessible dans la version Premium.
Crédits : mark phillips/Alamy
Réalisation de Banksy (street art).
La conscience de soi par son activité
Hegel pense le passage de la conscience immédiate vers
la conscience réflexive par la rencontre avec ce qui est
placé devant nous et que nous modifions, notamment
par le travail et par l'art, qui incarne les pensées dont
nous sommes les auteurs. La conscience peut alors se
reconnaître dans ce qu'elle fait, et non pas simplement
se connaître en s'analysant elle‑même.
Ainsi, le travail technique ou l'art sont des réalisations de
soi dans le monde. La conscience ne se contente pas de
se connaître. Par l'empreinte qu'elle laisse dans le monde,
à travers ses activités et ses œuvres, elle se re-connaît :
elle retrouve les marques de sa liberté, de sa volonté et
de son identité en surmontant l'altérité qu'elle rencontre
dans le monde.
Cette matérialisation de la conscience permise par l'art
peut être appréhendée avec le document ci‑dessus.
Ce dernier met en scène le rapport à l'art des premiers
hommes qui permettait de ne plus simplement être face
aux animaux mais d'en être aussi le maître en les dessinant.
Ainsi, le monde n'était plus face à nous, dangereux,
il était aussi en notre possession.
L'art rupestre, issu de la première conscience de l'humanité,
est ici mis en parallèle avec le graffiti qui est un moyen
de reprendre possession de son espace de vie. Le nettoyeur
efface donc cette prise de conscience ; mais il la rend
également à nouveau possible en laissant un espace blanc.
Pour bien cerner le texte de Hegel, il faut comprendre l'affirmation
de la liberté dans le refus de la restriction de ce
qui est donné (l'être‑en‑soi). De ce fait, l'art, par l'expression
de notre liberté (l'être‑pour‑soi), nous permettrait,
avec le travail, de prendre conscience de nous‑mêmes.
Activité
En vous appuyant sur le texte 4, rédigez un paragraphe répondant aux questions suivantes : pourquoi taguons-nous
les murs de nos villes et pourquoi noircissons-nous les marges de nos cahiers ? Pourquoi cherchons‑nous à
peindre, signer et nous exprimer partout où il nous est interdit de le faire ?
Une erreur sur la page ? Une idée à proposer ?
Nos manuels sont collaboratifs, n'hésitez pas à nous en faire part.
Oups, une coquille
j'ai une idée !
Nous préparons votre pageNous vous offrons 5 essais
Yolène
Émilie
Jean-Paul
Fatima
Sarah
Premium activé
5
essais restants
Utilisation des cookies
Lors de votre navigation sur ce site, des cookies nécessaires au bon fonctionnement et exemptés de consentement sont déposés.