L’intersubjectivité et le regard
Le courant
existentialiste considère que nous n’avons
pas une
essence, une définition qui nous préexiste, mais
qu’on se définit à travers nos actes et dans la relation à
l’autre. Simone de Beauvoir reprend cette conception et
s’inspire également des concepts de la
phénoménologie.
Dans son ouvrage majeur, Le deuxième sexe, elle explique
que la femme se trouve aliénée. L’aliénation signifie
qu’elle devient autre chose que ce qu’elle voudrait être
en étant soumise au regard social qui la définit et la distingue
de l’autre, en l’occurrence le masculin. Ainsi, le
regard de l’autre nous impacte, change notre pensée et
essaie de nous donner une définition que nous n’avons
pas choisie. Ce regard est donc
aliénant : je deviens étranger
à moi‑même, car autrui me fait être quelque chose
que je ne suis pas.
Par exemple, une petite fille est vue comme « coquette »
ou « maternelle » car le cadre social, culturel et historique
la renvoie vers ces caractéristiques, tandis qu’un petit garçon
sera vu comme plus « énergique » et « moins propre »
pour les mêmes raisons. Notre identité nous échappe
donc dans une certaine mesure, car elle est constituée
en partie par le regard d’autrui. Il s’agit du thème de
l'
intersubjectivité : je partage le monde avec d’autres
points de vue qui l’interprètent et qui m’influencent.
Joseph Goebbels, photographie d’Alfred Eisenstaedt prise en 1933.
Cette influence d’autrui peut être comprise en analysant
la photographie ci-contre, qui saisit la réaction de
Goebbels – théoricien du nazisme et ministre de la propagande
du Troisième Reich – à l’instant où il apprend
que le photographe était juif. Le photographe Alfred
Eisenstaedt décrit qu’à peine quelques minutes auparavant,
Goebbels riait de bon cœur. Le regard qu’il lui jette
révèlerait la haine qu’il ressent pour cet individu qu’il ne
connaît pas. Il le réduit à un seul trait : l’ennemi.
Le photographe se retrouve défini dans un rôle
que Goebbels lui confère, un rôle et une identité qu’il
n’a pas choisis, mais qui le marquent. Il fuira l’Allemagne
et les persécutions en 1935. La dimension
intersubjective
apparaît également : le photographe, par son cliché,
donne une identité à Goebbels – celui qui porte la haine.
Finalement, le jeu des regards nous définit les uns les
autres. Nous lisons dans le regard d’autrui ce qu’il pense
de nous et nous nous trouvons confirmés ou infirmés
dans nos espoirs d’être reconnus comme ceux que nous
avons conscience d’être. Nous éprouvons cette intersubjectivité
dans de multiples occasions, que ce soit dans
une salle de classe ou dans les transports publics.