Leibniz a lu Descartes, qui affirme que la conscience
se donne dans une intuition immédiate et que l'esprit
est ainsi plus facile à connaître que le corps. Il a également
lu Spinoza, selon lequel nous sommes conscients
de nos actes et de nos pensées, mais inconscients de
leurs causes. Avec cette idée que l'esprit est affecté de
petites perceptions non conscientes, Leibniz s'oppose à
Descartes et s'inscrit dans la même réflexion que celle
de Spinoza. Cette idée est reprise par les philosophes du
soupçon tels que Schopenhauer, Nietzsche ou encore le
psychanalyste Freud.
Ce texte de Leibniz repose sur une affirmation
paradoxale : nous avons des perceptions que nous
n'apercevons pas et des états mentaux que nous ne percevons
pas. Comment cela est‑il possible ? Leibniz part de
la constatation des faits : nous entendons le bruit d'une
chute d'eau ou le ressac mais nous n'apercevons pas le
bruit de chaque goutte, pourtant nécessaire au bruit
final de l'eau qui tombe. Comment expliquer cela ? Le
philosophe émet l'hypothèse que certaines perceptions,
que nous devons forcément percevoir, sont tellement
infimes, nombreuses, confuses ou coutumières que nous
n'en avons pas conscience. Toutefois, comment peut-on
ne pas avoir conscience de petites perceptions que nous
percevons pourtant ? L'explication de Leibniz repose sur
l'idée qu'il y a une harmonie entre l'âme et le corps, c'est‑à‑dire une unité qui fait que rien ne peut se passer dans
le corps qui n'ait sa pensée correspondante dans l'âme,
même si nous n'en prenons pas conscience.
Ainsi, par exemple, si une partie de notre corps est affectée
par un mal, il y a nécessairement une pensée de ce
mal dans notre âme, même si nous n'en avons pas une
conscience claire. Il y a donc bien une unité psychosomatique
(sôma signifie le corps en grec).
De ce fait, ce n'est pas parce que nous n'apercevons pas
les petites perceptions qu'elles ne sont pas réelles. Elles
doivent impérativement exister pour pouvoir produire ce
bruit final que l'on perçoit. Pour qu'il y ait une conscience
claire de ce bruit, il faut donc qu'il y ait des petites perceptions
non conscientes, qu'il y ait d'abord de la perception
sans que nous en ayons conscience. Ce sont des « perceptions
insensibles », qu'on pourrait qualifier d'inconscientes.
Le mérite de Leibniz est de ne pas identifier la vie psychique
à l'unique conscience, comme Descartes le pensait.
Cependant, Leibniz définit les perceptions inconscientes
comme une faille de la conscience, une limite dans ses
capacités à se saisir des perceptions. Il ne s'agit donc
pas encore de l'idée de l'inconscient freudien, doté d'une
énergie et d'un dynamisme susceptibles d'affecter la vie
psychique consciente.