Il faut suivre le logos ◉ ◉ ◉
La raison n’est pas une faculté indépendante des conditions de son apparition. Pourquoi la
Grèce antique est‑elle l’origine de la pensée européenne ? Quelle rupture s’y est produite ? Aristote
répond qu’il s’agit de l’usage rationnel du langage (logos
). Chercher la logique du monde,
c’est considérer qu’il est un cosmos, un tout organisé, ce qui implique une conception de notre
place dans cet univers.
C’est, en effet, l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers
penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, leur étonnement porta sur
les difficultés qui se présentaient les premières à l’esprit ; puis, s’avançant ainsi peu
à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus importantsa, tels que les
phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles, enfin la genèse de l’Univers.
Or apercevoir une difficulté et s’étonner, c’est reconnaître sa propre ignorance
(c’est pourquoi même l’amour des mythes1 est, en quelque manière, amour de la
Sagesseb, car le mythe est un assemblage de choses merveilleuses et étonnantes).
Ainsi donc, si ce fut bien pour échapper à l’ignorance que les premiers philosophes
se livrèrent à la philosophie, c’est qu’évidemment ils poursuivaient le savoir en
vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire2 . Et ce qui s’est passé
en réalité en fournit la preuve : presque toutes les nécessités de la vie, et les choses
qui intéressent son bien‑être et son agrément avaient reçu satisfaction, quand on
commença à rechercher une discipline de ce genre. Je conclus que, manifestement,
nous n’avons en vue, dans notre recherche, aucun intérêt étranger. Mais, de même
que nous appelons libre celui qui est à lui‑même sa fin et n’existe pas pour un
autre, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit une discipline
libéralec, puisque seule elle est à elle-même sa propre fin.
Aristote, Métaphysique, IVe s. av. J.-C., trad. J. Tricot, © Librairie Philosophique J. Vrin, 1986.
a. La progression ici se déplace de la
physique à la métaphysique.
b. Un mythe étonne et émerveille. Il
cherche aussi une explication. Il est
celui qui aimerait savoir sans y parvenir
complètement. Il est « amour
de la sagesse » plutôt que possession,
le mythe est donc
philo‑sophe.
c. En ce sens, une discipline libérale est
une discipline que l’on pratique pour
elle-même, et non pour un salaire
par exemple.
1. Un mythe est un récit sur les origines supposées.
2. Au sens d’« objectif » ou « finalité ».