Il [l'existentialisme athée] déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au moins un être
chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini
par aucun concept et que cet être c'est l'homme ou, comme dit Heidegger, la réalité
humaine. Qu'est‑ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que
l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après.
L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est
d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de
nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. L'homme est non seulement
tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut, et comme il se conçoit après l'existence ;
comme il se veut après cet élan vers l'existence, l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il
se fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme. C'est aussi ce qu'on appelle la
subjectivité, et que l'on nous reproche sous ce nom même. Mais que voulons‑nous dire
par là, sinon que l'homme a une plus grande dignité que la pierre ou que la table ? Car
nous voulons dire que l'homme existe d'abord, c'est‑à‑dire que l'homme est d'abord
ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l'avenir. […]
Mais si vraiment l'existence précède l'essencea, l'homme est responsable de
ce qu'il est. Ainsi, la première démarche de l'existentialisme est de mettre tout
homme en possession de ce qu'il est et de faire reposer sur lui la responsabilité
totale de son existence. Et, quand nous disons que l'homme est responsable de
lui-même, nous ne voulons pas dire que l'homme est responsable de sa stricte
individualité, mais qu'il est responsable de tous les hommes.
Jean-Paul Sartre
L'existentialisme est un humanisme, 1946, © Éditions Gallimard, 1996.