Ce texte de Maurice Merleau‑Ponty a pour but de remettre en cause un présupposé philosophique majeur, qui tend à séparer de manière rigide d'un côté les dispositions et comportements naturels de l'homme et ceux qui seraient culturels de l'autre. Selon une telle position, l'homme serait caractérisé par deux « couches » ou deux « strates » superposées : d'abord une couche naturelle, composée d'une part de l'intégralité des comportements innés et universels propres à une nature humaine (l'expression des émotions et des sentiments, tels que pleurer de tristesse, crier dans la colère, embrasser par amour…) et d'autre part d'éléments strictement biologiques (la constitution anatomique du corps, l'appareil psychique, les instincts, l'émotivité…) ; ensuite, par‑dessus cette première couche nécessaire (au sens où un être humain ne peut pas ne pas posséder cette nature humaine) viendrait se déposer une seconde couche d'éléments purement culturels, c'est‑à‑dire qui n'existent pas spontanément, mais sont inventés par l'homme, et qui seraient au contraire entièrement acquis, construits et par conséquent contingents, au sens où l'être humain peut revêtir des attributs culturels variés, voire éventuellement n'en avoir aucun et être entièrement naturel.
Ce que Merleau‑Ponty cherche à montrer, c'est l'impossibilité de procéder à une telle distinction. Deux arguments le lui permettent :
Premièrement, loin de dénoncer le caractère nécessaire de la « nature humaine », il analyse plutôt la contingence de la culture, afin d'affirmer que la dimension culturelle de l'homme n'est pas moins nécessaire que sa dimension naturelle.
Deuxièmement, il montre que le partage entre nature et culture est rigoureusement impossible à réaliser en fait, puisqu'il n'existe aucun comportement humain qui ne soit à la fois traversé par des dispositions naturelles et des variations culturelles. Par exemple, le langage est une faculté naturelle de l'homme et, en même temps, il n'existe pas d'utilisation du langage en général sans l'emploi d'une langue en particulier. De même, l'émotivité est bien une disposition ancrée dans la nature de l'homme (anatomique et psychique) et, en même temps, aucune émotion ne peut s'exprimer en dehors de signes culturellement variables.
Ainsi, à la thèse de la superposition, Merleau‑Ponty substitue la thèse de l'entrecroisement : tout ce qui apparaît n'être que naturel est en fait toujours modelé par la culture, et tout ce qui apparaît n'être que culturel s'ancre toujours dans une dimension naturelle.