Qui, aujourd’hui, entre deux métros, ne rêve de vivre à la campagne ? Qui ne rêve de retrouver, loin des miasmes1 et de la frénésie2 urbaine, cette vie simple, en harmonie avec la nature qu’on prête aux paysans d’autrefois ? Nostalgies du village où tout le monde se connaissait,
nostalgies d’un travail où l’on voyait, où l’on palpait ce qu’on faisait, nostalgies de ces savoirs fondamentaux – désormais enfouis ou dévalués – qui permettaient de maîtriser son univers, nostalgies d’une sagesse qui savait placer l’homme dans la nature et non pas contre elle… nostalgies d’un monde où chacun, connu comme le fils d’Untel et Unetelle, avait ses racines…
Repoussoir hier, le monde rural est aujourd’hui un fantastique réservoir de fantasmes3. Des fantasmes qui font vendre : à défaut de vie verte, on achète « naturel », « bio » ou « rétro »… Des fantasmes qui font vivre : ceux pour qui l’horizon de l’existence, c’est la maison, ou la retraite à la campagne… Des fantasmes suffisamment mobilisateurs pour conduire des gens comme vous et nous à abandonner leur emploi, leurs perspectives de carrière, leur genre de vie pour se risquer à l’artisanat ou à l’agriculture... Immigrants de l’utopie, non parce que leur démarche serait nécessairement irréaliste ou farfelue, mais parce que leur refus du quotidien et leur rêve d’un avenir autre s’expriment dans cette tentative pour retrouver, loin des villes, un Âge d’Or que le progrès, l’industrie, le mirage productiviste ont, selon eux, détruit. […]
L’idée de base est que le désir, enraciné dans la nature, ne peut être que bon : ce sont les contraintes sociales qui le pervertissent. Il faut donc retrouver, au‑delà des normes imposées par la société mauvaise, l’authenticité d’une nature humaine, intrinsèquement bonne. En ce sens, le mouvement du retour était aussi l’expression symbolique d’une aspiration essentiellement éthique4 à un changement de la conscience rendu possible par une familiarité retrouvée avec la nature.