Jean-Jacques Rousseau publie Du contrat social en 1762,
peu de temps avant la Révolution française (1789). Il se
demande quelle forme de liberté nous gagnons à « faire
société », puisque l'état de nature se caractérise comme
un état sans loi et sans obligation, pour autant qu'on
puisse se l'imaginer. Dans le Second Discours de Rousseau,
l'homme naturel est imaginé comme un être doux, bienheureux,
inoffensif. Poète, il organiserait sa vie à sa guise ;
l'homme à l'état de nature est indépendant. Il se suffit à
lui-même, dans une solitude paisible, et n'a pas encore
développé sa raison. À l'état de nature, il suffit d'être
le premier à s'emparer d'un fruit ou d'un gibier pour le
faire sien. Cette fiction (cet état « n'a vraisemblablement
jamais existé ») semble fort enviable : rien ne semble
motiver l'homme à quitter l'état de nature.
Mais force est de constater que cet état de nature a été
perdu, dès lors que nous vivons dans des sociétés civiles.
Or l'homme à l'état de nature était, certes, indépendant,
mais sa liberté naturelle ne lui garantissait aucune sécurité.
Il faut donc que l'homme naturel, en perdant sa
liberté naturelle, passe implicitement avec autrui une
forme de contrat. Ce contrat va redéfinir profondément
le sens de la liberté dont il disposait jusqu'alors, afin de
garantir correctement sa sécurité et ses biens.
Par ce contrat, il est plus fort, il devient citoyen collaborant
au corps social. Sa liberté consiste d'un côté à
participer à la loi par le vote démocratique et, de l'autre,
à profiter de la protection de la loi.
Le passage à l'état civil produit sur l'individu des effets à
la fois sur le plan anthropologique, car l'homme devient
plus raisonné et plus raisonnable ; sur le plan juridique,
car il se soumet à des lois désormais écrites, et sur le plan
moral, car il s'oblige à obéir à des règles morales idéales.
La liberté morale vient prolonger la liberté politique et
juridique. Elle suppose un citoyen doté de conscience,
capable de s'élever au‑dessus de ses intérêts particuliers
pour viser le bien collectif, l'intérêt général.
Jean-Jacques Rousseau pointe néanmoins un risque : si le
citoyen dans l'État est soumis à un monarque absolu ou à un
despote arbitraire, les « abus de la condition » civile pourraient
« dégrader » l'homme en dessous de la condition
où il se trouvait à l'état de nature. On peut remarquer
que Rousseau s'oppose ici au gouvernement tyrannique.
Il reste cependant des interrogations. Ainsi, il faut trouver
le moyen de garantir l'autonomie du citoyen à l'état civil, et
il n'est pas non plus certain que la liberté civile – comprise
comme les lois positives votées – suffise si elle n'est pas
soutenue par la liberté morale, c'est‑à‑dire le civisme.