Pour vivre ensemble, les êtres humains ont besoin d'un État qui détient et exerce divers pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire, policier, militaire, etc.). Sans lui, il n'y aurait pas d'arbitre pour faire respecter les lois qui rendent compatible l'exercice de la liberté de l'un avec celle d'un autre. Pour autant, l'État est une création humaine, conçue et administrée par des hommes qui sont susceptibles d'en abuser. C'est pourquoi, au lieu de considérer que l'État est invariablement le protecteur de l'individu et de ses libertés, il s'agit de s'interroger sur son apport.
Réflexion 1
Avons‑nous besoin d'être gouvernés ?
Avons‑nous besoin de l'État ?
L'état de nature est une fiction permettant de se représenter ce qu'il adviendrait aux individus laissés à eux‑mêmes et à leurs désirs. Un conflit de tous contre tous apparaîtrait et personne ne serait libre de rien ; dans une telle situation, personne n'est jamais assez fort ni puissant pour assurer durablement une domination sur les autres. Par ailleurs, exercer une force sur quelqu'un ne crée aucun droit sur lui. Rousseau explique que la force relève de l'ordre du fait et ne produit pas l'obligation d'être respecté dans l'esprit de celui qui la subit. Aucune autorité ne peut donc fonder son pouvoir sur la force et la crainte qu'elle inspire.
Quelles règles peuvent nous gouverner ?
Par conséquent, la création d'une société viable exige une autorité politique reconnue légitime par l'ensemble des citoyens. Réunis en corps, ceux-ci forment alors une véritable communauté politique. Cette dernière n'est pas comparable à une grande famille, comme nous le dit Rousseau, car les rapports entre les individus sont déterminés et encadrés par les règles de droit et non par des liens affectifs et moraux.
Réflexion 2
À quelles conditions l'État est‑il légitime ?
Les missions de l'État le légitiment‑elles ?
À quelles conditions l'autorité est reconnue et acceptée ? L'État détient la souveraineté légitime si les lois expriment la volonté générale, si le gouvernement n'outrepasse pas ses missions (favoriser et protéger les libertés individuelles, selon Mill) et si l'administration est impartiale dans la conduite des affaires publiques – tout en fournissant une liberté réelle au citoyen, selon Hegel.
Quelles sont les sources de l'autorité légitime ?
L'État fonde son autorité potentiellement sur trois sources, comme l'explique Weber, mais cette autorité reste toujours en débat en raison du niveau d'expertise des responsables de l'État comparé à celui du peuple, et en raison des risques de confiscation des libertés au nom de l'efficacité. La séparation des pouvoirs chère à Montesquieu semble donc importante et la désobéissance civile publique et pacifique devient dès lors possible, selon Rawls.
Réflexion 3
Qui peut gouverner ?
Gouverner, est‑ce une compétence d'experts ?
Une fois résolu le problème de la fondation légitime de l'État, une autre question se pose : qui doit exercer le pouvoir ? Aristote propose que les gouvernants soient formés d'abord à obéir, quand Durkheim souhaite un contre‑pouvoir face à l'État qu'il reconnaît, cependant, comme la source de la sécurité et du bien public.
Qui établit les valeurs de l'État ?
La décision politique suppose de disposer de certaines connaissances mais elles ne sont pas suffisantes. En effet, la décision se fait aussi en fonction de valeurs et de principes : or, personne n'a le monopole de la définition de la justice. Une dérive est possible : l'État peut être tenté par sa propre conservation, arguant de la Raison d'État pour mener une politique qui n'est qu'à son service.
Il faut concevoir l'État contemporain comme une
communauté humaine qui, dans les limites d'un
territoire déterminé revendique avec succès pour
son propre compte le monopole de la violence
physique légitime.
Max Weber
L'État, c'est le plus froid de tous les monstres
froids. II ment froidement ; et voici le mensonge
qui s'échappe de sa bouche : « Moi, l'État, je suis
le peuple ».
Friedrich Nietzsche
C'est une expérience éternelle que tout homme
qui a du pouvoir est porté à en abuser.
Montesquieu
La fin de l'État est donc en réalité la liberté.
Baruch Spinoza
Sujets de dissertation
La politique est‑elle seulement l'affaire de l'État ?
L'État est‑il au‑dessus des lois ?
L'État est‑il un mal nécessaire ?
L'intervention de l'État est‑elle nécessaire pour réduire les injustices ?
L'État est‑il menacé quand les citoyens discutent les lois ?
Pierre Schoeller, L'Exercice de l'État, 2011
Ce film franco‑belge décrit la
contradiction d'un ministre en
pleine ascension, partagé entre
la fidélité à ses convictions et le
réalisme politique. Le titre est une
contraction de deux expressions :
le pouvoir de l'État et l'exercice du
pouvoir.
Georges Orwell, 1984, 1949
Ce célèbre roman d'anticipation décrit la dérive totalitaire
d'un État contrôlant tous les aspects de la vie de l'individu,
où la frontière entre privé et public disparaît au nom d'une
idéologie liberticide.
Pierre Bourdieu, Sur l'État, Cours au collège de France,
2012
Le sociologue traite de la notion d'État en la présentant
comme le carrefour de divers intérêts et comme une fiction
collective destinée à faire admettre l'idée de service
du bien commun.
Simone Goyard‑Fabre, L'État : figure moderne de la politique, 1999
Il s'agit d'une étude de la notion d'État sur le plan historique,
juridique, et philosophique, jusqu'à la crise de la
modernité qui interroge les formes de l'État contemporain.
Franz Kafka, Le procès, 1925
Un homme arrêté sans raison doit se battre contre un
appareil d'État pour prouver son innocence, alors qu'il est
accusé d'un délit qu'il ignore.