Le devoir de mémoire doit‑il guider l’écriture de l’histoire ?
La notion de « devoir de mémoire » apparaît dès la fin des
années 1940, au sujet de la déportation qui s’est produite
au cours de la Seconde Guerre mondiale. Le texte de l’abbé
Noël Carlotti, résistant déporté à Neuengamme, exprime cet
impératif moral et cette responsabilité qui s’adressent au
survivant. Entretenir le souvenir d’un événement traumatique
pour l’humanité relèverait du devoir : devoir des acteurs de
témoigner pour ceux qui ne l’ont pas vécu ; devoir pour tout
un chacun de contribuer à ce que de tels événements ne se
reproduisent pas. C’est le sens de la commémoration et de
nombreux lieux de mémoire. Cependant, on peut s’interroger
sur le possible conflit entre l’exigence scientifique de
l’histoire, que portent les historiens et les historiennes, et la
responsabilité morale du souvenir, que portent les témoins.
Ainsi, Maurice Halbwachs indique que l’histoire débute quand
cesse la tradition.
Nos souffrances passées, qui nous ont donné un sens aigu de l’aide fraternelle à apporter à
nos semblables, devraient donner au monde son visage de demain, le rendre plus habitable, plus
humain. Ah ! Il nous reste une belle tâche à accomplir : réconcilier l’homme avec l’homme, réaliser le respect total de la personne humaine… Rescapés de camps de la mort lente, vous qui avez été
victimes de l’orgueil nazi, de son régime policier, qui avez été comme des esclaves, soyez les champions
de cette liberté dont vous avez été privés pendant des mois peut‑être pendant des années.
Abbé Noël Carlotti, N’oublions jamais, 1949.
En général l’histoire ne commence qu’au point où finit la tradition, au moment où s’éteint ou se
décompose la mémoire sociale. Tant qu’un souvenir subsiste, il est inutile de le fixer par écrit, ni même
de le fixer purement et simplement. [...] Si la condition nécessaire, pour qu’il y ait mémoire, est que le
sujet qui se souvient, individu ou groupe, ait le sentiment qu’il remonte à ses souvenirs d’un mouvement
continu, comment l’histoire serait‑elle une mémoire, puisqu’il y a solution de continuité entre la société
qui lit cette histoire, et les groupes témoins ou acteurs, autrefois, des événements qui y sont rapportés ?
Maurice Halbwachs, La Mémoire collective, 1950.
Les musées de la mémoire
Pour honorer ce devoir de mémoire envers la destruction des Juifs
d’Europe (Shoah), un certain nombre de musées mémoriaux et monuments
ont été édifiés à travers le monde. Ils ont pour vocation de faire vivre
le souvenir des victimes des camps de concentration nazis, mais aussi
de rassembler des documents, archives, sources qui constituent un riche
matériau disponible pour les historiens. Le devoir de mémoire est parfois
même inscrit dans la loi, comme en France avec la loi Gayssot de 1990,
qui condamne la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité
(négationnisme). Le devoir de mémoire s’adresse à tous les citoyens, mais
doit aussi trouver une résonance dans le travail des historiens.
La loi peut‑elle prescrire aux historiens des règles pour leur travail
de recherche ?
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La mémoire s’exprime à travers des lieux, mais aussi à l’occasion de
moments privilégiés. Yad Vashem, le mémorial pour la Shoah de Jérusalem,
célèbre chaque année Yom HaShoah (la Journée du souvenir pour la Shoah
et l’héroïsme). Six survivants de la Shoah sont choisis pour allumer chacun
une flamme, en mémoire des six millions de Juifs tués.
Quel rôle joue le devoir de mémoire dans la cohésion d’une communauté ?
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Le Mémorial de la Shoah de Paris abrite aussi le Centre de documentation
juive contemporaine (CDJC), créé clandestinement pendant la Seconde
Guerre mondiale. Le devoir de mémoire ne peut se passer d’un travail de
documentation et de récolte des sources.
En quoi le travail des historiens dépend‑il de l’effort de mémoire ?
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Le United States Holocaust Memorial Museum de Washington D.C. propose
une exposition permanente, qui reconstitue certains éléments « grandeur
nature » de la vie dans les camps de concentration. Une section dédiée
aux enfants retrace l’histoire de la Shoah, à travers le récit fictif de la vie
d’un garçon nommé Daniel.
Les historiens doivent‑ils rester critiques envers la mémoire pour
atteindre l’objectivité ?
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Le « Mur des Noms », situé sur le parvis du Mémorial de la Shoah de Paris,
comporte les noms de 75 568 Juifs déportés de France. Il a pour fonction
d’inviter au recueillement, en rendant concret le souvenir des victimes.
L’émotion est‑elle nécessaire à l’accomplissement du devoir de
mémoire ? Est‑elle suffisante ?
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Le devoir de mémoire, élaboré à propos de la Shoah, a été étendu à
d’autres faits. En 2012 est inauguré à Nantes le Mémorial de l’abolition de
l’esclavage, qui concrétise la volonté de la loi Taubira de 2001 (inspirée de
la loi Gayssot), reconnaissant la traite négrière et l’esclavage comme crimes
contre l’humanité, et préconisant un travail de recherche et de pédagogie
sur ce sujet.
La mémoire individuelle est-elle spontanée ou relève‑t‑elle d’un devoir moral ? Peut‑on parler de devoir collectif ? Dépend‑il de la situation politique ?
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