Le soleil était bon, ce jour-là. Un beau soleil de printemps. Il avait mangé une part de pizza, achetée à un marchand ambulant près de la plage, et il s'était assoupi en réfléchissant aux moyens de faire venir sa famille.
Il ne savait comment s'y prendre, Osman. Lui, il était entré clandestinement
en France, par la frontière italienne. À travers les montagnes. Il avait
payé, très cher, un passeur1, qui l'avait abandonné en cours de route. Il en avait payé un second, à Vintimille2. Un honnête homme celui-là. Un vieux paysan. Mais il ne voyait pas Aysel et Gülnur suivre la même route. Une nuit
complète de marche dans des sentiers difficiles, et, pour finir, un chemin muletier qui grimpait dans une gorge sombre jusqu'à une coulée de pierraille3.
Non. Il rêvait du train pour eux, et d'un visa touristique. Mais est-ce qu'on
pouvait avoir droit à un visa touristique pour venir voir quelqu'un qui n'avait
même pas de carte de séjour ? Il faudrait qu'il aille se renseigner dans une
association qui s'occupait d'eux, les sans-papiers. Et demander comment il
pouvait faire, pour Aysel et Gülnur.
Il ouvrit les yeux, et il aperçut Jocelyne et les enfants qui arrivaient.
Un homme les accompagnait. Du doigt, elle désigna le banc. Et Osman.
Ils vinrent dans sa direction. Jocelyne ne lui adressa pas de sourire quand ils
arrivèrent devant lui.
– ‘Jour, fit Antonin.
– Emmène les enfants, dit l'homme à Jocelyne.
– Il n'a rien fait, Georges, répondit Jocelyne. Timidement.
– Va te promener, j'ai dit !
Jocelyne s'éloigna, les yeux baissés sur le landau qu'elle poussa rageusement
devant elle. Marius et Antonin la suivirent, la tête tournée vers Osman.
Osman s'était levé.
– J'suis le mari.
– Bonjour, dit Osman, en tendant sa main.
Le regard de Georges était de ceux qu'Osman n'aimait pas. Il n'y avait pas
de place pour lui dans ce regard. Ni dans la vie, ni même sur un banc dans
un parc.
La main d'Osman resta dans le vide.
– T'aimes les enfants, y paraît.
– Oui, monsieur. Et les vôtres, ils sont beaucoup beaux.
– Salaud ! cria Georges.
Et il remonta vivement son genou dans les couilles d'Osman.
La douleur le plia en deux. Un coup de poing le redressa. Il s'effondra sur
le sol. Il haletait. Comme dans le col avec le passeur. [...]
Un coup de pied dans les côtes le souleva, Osman. Il fit sombre autour de
lui. Des gens l'entouraient. Il eut envie de sourire. De dire bonjour. De s'excuser.
Une erreur, c'était une erreur. Il était désolé de troubler le calme du parc.
– Y fait chier mes mômes, dit Georges, en lui balançant un autre coup de pied.
– Je l'ai vu faire, dit une voix de femme.
– ‘Sont tous rien que des pédophiles, ces putains de bougnoules4.
Les yeux fermés, Osman chercha désespérément une image de Gülnur. La
seule qui lui vint fut celle d'Antonin. Il lui souriait.
– Antonin, il murmura.
Il fut soudain au-delà de la douleur. Les coups de pied s'abattirent sur tout
son corps. Tout le monde sembla s'y mettre. S'acharna sur lui. Le dernier coup
lui sembla être le dernier. Mais il ne put le vérifier. Sa rate venait d'exploser.
Il n'entendit pas non plus Antonin demander à Jocelyne :
– Dis, pourquoi c'est un méchant, le monsieur ?