Voici les quatre dernières strophes d'un poème d'Anna de Noailles intitulé « À la nuit ».
Nuit penchée au-dessus des villes et des eaux,
Toi qui regardes l'homme avec tes yeux d'étoiles,
Vois mon cœur bondissant,
ivre comme un bateau1,
Dont le vent rompt le mât et fait claquer la toile !
Regarde, nuit dont l'œil
argente2 les cailloux,
Ce cœur phosphorescent dont la vive brûlure
Éclairerait, ainsi que les yeux des hiboux,
L'heure sans clair de lune où l'ombre n'est pas sûre.
Vois mon cœur plus rompu, plus lourd et plus amer
Que le rude filet que les pêcheurs nocturnes
Lèvent, plein de poissons, d'algues et d'eau de mer
Dans la brume mouillée, agile et
taciturne3.
À ce cœur si rompu, si amer et si lourd,
Accorde le dormir sans songes et sans peines,
Sauve-le du regret, de l'orgueil, de l'amour,
Ô pitoyable nuit, mort brève, nuit humaine !...
Anna de Noailles
Le Cœur innombrable, « À la nuit », 1901.