Sur la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux Coq adroit et
matois1.
« Frère, dit un Renard, adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en
querelle2 :
Paix générale cette fois.
Je viens te l'annoncer ; descends que je t'embrasse ;
Ne me retarde point de grâce :
Je dois
faire aujourd'hui vingt postes3 sans manquer.
Les tiens et toi pouvez
vaquer4
Sans nulle crainte à vos affaires :
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir.
Et cependant viens recevoir
Le baiser d'amour fraternelle.
– Ami, reprit le Coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle
Que celle
De cette paix.
Et ce m'est une double joie
De la tenir de toi.
Je vois deux Lévriers,
Qui, je m'assure, sont
courriers5
Que pour ce sujet on envoie.
Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.
Je descends ; nous pourrons nous
entre-baiser6 tous.
– Adieu, dit le Renard :
ma traite7 est longue à faire.
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire
Une autre fois. » Le Galant aussitôt
Tire ses
grègues8, gagne au haut,
Mal content de son stratagème ;
Et notre vieux Coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur ;
Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.
La Fontaine
Fables, Livre II, 15, 1679.