Au XIX
e siècle, la France est un pays très majoritairement rural, numériquement dominé par une paysannerie petite et moyenne. C’est un monde plus religieux qu’en ville, moins alphabétisé, tenu par les anciennes élites, curés et propriétaires terriens. Il apparaît sur le plan politique comme un réservoir de conservation qui ne comporte que de rares poches plus contestatrices […].
Les résultats des élections de 1848 (législatives et présidentielles) puis de 1849, les plébiscites de Louis‑Napoléon Bonaparte, le vote de 1871, tout concourt à renforcer l’image d’un monde paysan attaché à l’ordre […]. Tout au long du siècle, résultats électoraux et imaginaires sociaux de la campagne se conjuguent donc pour figer une figure de l’électeur‑paysan, partagée par la droite et la gauche, valorisée par la première et dénoncée par la seconde. […]
Le vote paysan est évidemment plus complexe que ne le caricaturent [les] représentations dépréciatives
1. Il est largement contraint et faussé par la dépendance économique qui enserre les électeurs, bien souvent locataires, employés ou débiteurs des candidats, qui plus est dans un contexte de non‑respect du secret du vote, ce dont témoigne [la lithographie de Gabriel Gostiaux figurant une] élection en Bretagne (il n’y a pas d’isoloir, l’électeur donnant son bulletin en main propre au président de bureau). De surcroît, le vote se déroule sous le regard d’un gendarme qui prend fièrement la pose devant l’urne : le pouvoir entend sans doute suivre le déroulement du scrutin de très près. Les paysans n’étaient par ailleurs pas dupes des manœuvres électorales déployées pour briguer
2 leur suffrage et savaient jouer de ces situations pour arracher quelques menus avantages. La réalité d’un monde rural qui, à partir des expériences électorales de la monarchie de Juillet, s’est progressivement politisé est donc bien loin de l’image d’un peuple rural ignare et manipulé. Dès la fin du Second Empire, la gauche républicaine, soucieuse de récupérer le vote des campagnes, engage le procès de l’infériorité intellectuelle des paysans, dénonçant comme anticitoyenne l’image de l’électeur‑paysan, ignorant et claquemuré
3 dans sa paroisse.